Celui qu’on appelle Monsieur Vincent (en souvenir du film célèbre avec Pierre Fresnay dans le rôle, 1947) reste très connu. Mais souvent mal connu, comme parasité par la figure de l’abbé Pierre : un homme au grand cœur qui fait de la misère le combat de sa vie. Vue faussée parce que trop partielle. [Dans son Histoire littéraire du sentiment religieux en France au XVIIe siècle, 11 vol. de 1916 à 1936], l’abbé Bremond écrit déjà : « Qui le croit plus philanthrope que mystique se représente un Vincent de Paul qui ne fut jamais. »
Cette Petite vie valide pleinement ce jugement. Traduite, elle est due à un lazariste italien. Certes, sa pratique du genre biographique par fragments juxtaposés peut déconcerter, outre qu’il ne doit pas être facile de maîtriser, de l’autre côté des Alpes, la complexité du Grand Siècle français. Il n’empêche : on distingue bien les grands moments de la vie du petit berger landais qui, ô paradoxe, attendait de l’état ecclésiastique une promotion sociale pour soulager ses pauvres parents. Après la captivité chez les barbaresques de Tunis, épisode qui reste encore mystérieux, le voici à Paris, précepteur des enfants Gondi. Suivant ses protecteurs sur leurs domaines ou chez les galériens, la misère spirituelle qu’il découvre lui révèle sa vocation : à l’écoute des pauvres retrouver le Christ ; à l’exemple du Christ apprendre Dieu aux pauvres.
Combattre la misère spirituelle et la misère des corps
Toutes ses grandes réalisations découlent de là. Combattre d’abord la misère spirituelle, et pour cela recruter des prêtres et les former à cette mission : fondation de la Congrégation de la Mission (1625), établie au prieuré Saint-Lazare dès 1632, d’où les Lazaristes. Ensuite secourir la misère des corps : fondation des Filles de la Charité (1633), avec Louise de Marillac, premier ordre féminin sans clôture. À quoi s’ajouta l’œuvre des enfants trouvés à partir de 1638.
Voilà l’œuvre charitable de l’homme infatigable. L’intérêt de cette Petite vie, c’est qu’elle en révèle la face inaperçue. Membre du secrétariat des Études vincentiennes, L. Mezzadri connaît l’œuvre écrite de Vincent. Elle est considérable (au moins 30 000 lettres) dans la belle langue classique. Et il en tire nombre de citations qui mettent en pleine lumière la spiritualité vincentienne. Un exemple ? Quelques missionnaires rechignaient à se charger de l’œuvre des hôpitaux en plus de celle de la Mission. Vincent leur répond :
« Les pauvres ne sont-ils pas les membres souffrants de Notre Seigneur ? Ne sont-ils pas nos frères ? Et si les prêtres les abandonnent, qui voulez-vous qui les assiste ? De sorte que, s’il s’en trouve parmi nous qui pensent qu’ils sont à la Mission pour évangéliser les pauvres et non pour les soulager, pour remédier à leurs besoins spirituels et non aux temporels, je réponds que nous les devons assister et faire assister en toutes manières… Faire cela, c’est évangéliser par paroles et par œuvres. »
Ou encore plus vivement : « Aimons Dieu, mes frères, aimons Dieu, mais que ce soit aux dépens de nos bras, que ce soit à la sueur de nos visages. »
Voilà le secret de la sainteté de saint Vincent : l’âme et le corps ; la foi et les œuvres ; la prière et l’action. Il est d’urgente actualité en ce temps de Carême.
Luigi Mezzadri, Petite vie de saint Vincent de Paul, Artège poche, 128 pages, 9,90 euros.