Le père Bruno Secondin, carme italien, analyse la vision et l’action du Saint-Père.
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Il y a quatre ans, jour pour jour, une fumée blanche, au-dessus de la Chapelle Sixtine, annonce au monde l’élection du nouveau Pape. Un Pape venu de l’autre bout du monde, devient le 265e successeur de Pierre, après la décision de Benoît XVI de quitter son ministère, accueillie dans le monde comme un « coup de tonnerre » un mois auparavant. Ce nouveau Pape, un cardinal argentin, choisit le nom de François, et comme le saint d’Assise, prêche et se bât pour une Église “simple, pauvre pour les pauvres”, “joyeusement missionnaire” et au service de la paix.
“Comme je voudrais une Église pauvre pour les pauvres !”, lance le nouveau Pape aussitôt après son élection. Jorge Mario Bergoglio, alors archevêque de Buenos Aires, vivait très simplement, aimé et écouté par les défavorisés dans, un pays où la pauvreté frappait la moitié de la population. Il se déplaçait en métro ou en bus et passait ses fins de semaine à visiter les paroisses et les bidonvilles de la périphérie. Quatre ans plus tard, c’est l’empreinte donnée à son pontificat. François veut ramener l’Église à sa forme évangélique des origines, lui rappeler que “le peuple est sa grande richesse et non sa doctrine ou ses structures”.
La réforme selon François
À ce propos, l’agence I.MEDIA a interrogé le père Bruno Secondin, carme italien, professeur de théologie spirituelle à l’université pontificale grégorienne et auteur de nombreux livres de spiritualité et sur la vie religieuse. Celui-ci avait prêché la traditionnelle retraite de Carême du pape François et de la curie romaine en 2015. Il fait un tour d’horizon :
“Nous avons une vision qui n’est pas entièrement correcte de la réforme de l’Église menée par le pape François. Nous venons d’une phase post-conciliaire, à la fois compliquée et riche, qui s’est conclue avec la mort de Jean Paul II, puis avec le pontificat de Benoît XVI. Selon moi, le XXe siècle ecclésial ne s’est pas clos en 2000 mais en 2013, quand Benoît XVI, à la fois père et fils du Concile, a démissionné.
Cet esprit conciliaire et post-conciliaire est particulièrement évident de Paul VI à Benoît XVI, lequel a nettement insisté sur l’herméneutique et la fidélité au Concile. Cela a disparu avec le pape François. Il n’a pas d’intérêt pour l’herméneutique. Il n’est ni fils ni protagoniste direct du concile, mais il vient comme héritier post-conciliaire. Il n’est pas non plus préoccupé par le relativisme, qui est une question européenne, comme cela a été le cas pour Benoît XVI.
Pour cette raison, le pape François poursuit une réforme de l’Église, avant même celle de la Curie, qui est véritablement radicale. Il ramène l’Église au-delà des questions sur l’herméneutique, sur le relativisme, sur les tendances à la division : il ramène l’Église à la forme de l’Évangile. Avec ses propres gestes, avec des préoccupations qui ne sont pas celles d’une théologie académique, mais d’une théologie qui accompagne le peuple sur le chemin, dans le sens de la foi. En cela, le pape François rapporte l’Église à la forme du Christ, vu comme prophète messianique des pauvres.
Dans une forme presque explosive, le pape François redonne ainsi à l’Église sa mission de disciple du Christ. Et non pas une fabrique de structures, de discussions ou de doctrines, quand bien même celles-ci sont nécessaires.
Comment lier ce nouvel élan du pape François avec la doctrine
“Le Saint-Père met toujours en garde contre le risque que la doctrine se renferme sur elle-même. Alors qu’elle doit refléter une expérience ecclésiale, d’écoute, d’obéissance, de proximité, de tendresse. Il n’achèvera pas cette réforme, qui aura besoin de générations pour revenir au Christ. Si cette réforme ne concernait que des organigrammes, elle pourrait être faite en dix ans. Pour un retour fidèle au Christ, il faut du temps, car nous avons une Église qui se montre désormais incapable de faire face à la mondialisation.
Si nous pensons le Pape actuel dans une perspective européenne, avec une Église vieille de 2000 ans et toute sa structure, on se trompe. Il faut le comprendre dans le contexte sud-américain, avec les périphéries dans le cœur, avec la parole du Christ enracinée dans les gestes, dans la proximité et dans la tendresse. Avant de discourir sur des réformes de la Curie, il veut conformer l’Église au Christ. Si on croit que l’Évangile est le cœur vivant de notre identité chrétienne, on peut comprendre le pape François. C’est le premier pape post-moderne, venu des périphéries sanglantes d’une grande ville et qui veut une identité purifiée, essentielle.
Sa façon directe de parler exprime sa philosophie. Il montre une passion brûlante, audacieuse, prophétique à se mettre à la suite d’un Christ qui n’est pas une sorte de chef honoraire d’un comité. Nous nous sentons mal à l’aise avec le pape François car nous sommes héritiers d’une Église avec des cadres stricts. Nous attendons qui les confirme, mais il détruit tout. D’habitude, les réformes partent des périphéries avant d’arriver au sommet. Cette fois, c’est le sommet qui impulse. Et donc le premier niveau intermédiaire, juste en dessous de lui, qui résiste beaucoup.
Le peuple, lui, sent qu’il y a un souffle nouveau. Il sent que ce pape touche des choses qui sont vraies dans le cœur des gens. Il manque la médiation, le passage entre le sommet et le peuple, mais la structure, qui repose sur des temps longs, fait de la résistance. Le pape a une mystique, comme il l’a dit à plusieurs reprises, fondée, enrichie par le peuple. Il parle sans cesse d’une foi du peuple, de la mystique du peuple. Il invite à la reconnaître, à l’apprécier, à l’écouter. C’est une expression que les papes n’emploient jamais habituellement. Lui le fait, par exemple dans Evangelii gaudiu.
Comment imaginer les années à venir ? Y a-t-il des “disciples” du pape François pour conduire sa réforme ?
“Le Pape lui-même essaye de mettre en œuvre quelques réformes dont l’Église a besoin. Il sait très bien qu’il ne peut pas tout faire lui-même. Il cherche à faire quelques réformes possibles à son âge, à son niveau, laissant au futur d’autres choses, sans vouloir être le dominateur de l’univers. Concernant le futur, et pour le clergé en particulier, François a montré de façon irréversible que le peuple de Dieu est au centre. Et à l’intérieur de celui-ci, les pauvres, les derniers, les fragiles. Ceci restera : le peuple est la grande richesse de l’Église, et non pas sa doctrine ou ses structures”.