Le père Christian Venard réagit au débat qui agite la cathosphère depuis le début de l’année 2017. (1/2)
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On ne peut que remercier Laurent Dandrieu et son dernier livre, Église et immigration : le grand malaise (Presses de La Renaissance), de nous déranger. Bien construit, avec une argumentation fouillée et fournie, il oblige à réagir, réfléchir, argumenter, et, c’est sans doute le plus marquant, à revenir aux fondamentaux de notre positionnement en tant que catholiques. Ce livre est à lire, bien sûr. Il est à étudier même. Il nécessite néanmoins pour cela de bonnes clefs de lectures. Je n’en partage ni la méthodologie, ni les conclusions ; que cependant son auteur, avant que je ne le critique, soit remercié publiquement de ce pavé jeté dans la mare.
Deux faux procès
Ce livre repose sur un double faux procès. Le premier semble rendre responsable de la crise migratoire l’Église et le Pape. Or, il conviendrait de rappeler que ni le Pape ni l’Église n’ont ouvert le processus migratoire économique au milieu du XXe siècle, quand les puissances d’argent ont décidé que faire venir la main d’œuvre étrangère était nécessaire et intéressant. Ce ne sont ni le Pape ni l’Église qui ont mis en place le regroupement familial. De même, qu’on veuille bien accorder au Pape et à l’Église de n’être en rien responsables de la déstabilisation totale du Moyen-Orient ces dix dernières années et de la crise migratoire à laquelle l’Europe doit faire face, de ce fait. Non seulement les papes et l’Église n’en sont pas responsables, mais plus encore, par leur action et par leurs appels, ils n’ont cessé de réclamer plus de justice et d’équité dans le traitement de ces questions internationales. Faute d’identifier les vrais responsables de cette immense tragédie, qui compte des morts par dizaine de milliers et des déplacés par centaines, le livre de Laurent Dandrieu semble en accuser l’Église et les papes.
Par ailleurs, concernant le “suicide” de l’Europe, je constate le même faux procès qui repose sur une absence de mise en perspective. Je veux bien admettre que, par naïveté parfois, mais surtout par une idéologie que le cardinal Ratzinger et Benoît XVI ensuite a épinglée, l’Église — ou plus exactement les hommes d’Église — ait pu participer à la marge à une forme de suicide moral de l’Europe… mais là aussi, ils n’en sont pas les principaux responsables. Les responsables du suicide européen… ce sont les Européens eux-mêmes ! La lente agonie démographique des vieux peuples d’Europe ne doit rien, bien au contraire à l’Église.
Qu’on ne s’y trompe pas, le suicide de l’Europe découle directement de l’apostasie généralisée des peuples européens, ayant abandonné la foi et la pratique religieuse de leurs ancêtres. Il suffit de relire le texte grandiose et prophétique de saint Jean Paul II, après le Synode sur l’Europe, Ecclesia in Europa, qui n’a pas pris une ride. On relira aussi avec intérêt La crise de la conscience européenne de Paul Hazard (Paris, 1935) pour redécouvrir les sources intellectuelles et laïques du mal-être européen. Aujourd’hui, une apostasie généralisée, une conception étriquée d’une laïcité prétendument salvatrice, une volonté de certains gouvernants de combattre la foi chrétienne, voilà les vrais responsables. Ne pas rappeler cela de manière forte dans ce livre, conduit insensiblement le lecteur à en rendre responsable le Saint-Père et l’Église — et donc à ne pas voir les vraies sources du problème.
D’où parle le Pape ?
Un autre point me gêne dans la démarche de Laurent Dandrieu. Les critiques qu’il formule à l’encontre des conférences épiscopales semblent en partie justes quoique très dures. On ne peut en effet se contenter, comme trop souvent en France, quand on représente l’Église enseignante, de copier-coller les déclarations du Conseil pontifical pour les migrants comme solde de tout compte intellectuel. Par ailleurs, on ne peut — sous peine de grande confusion intellectuelle et donc de disqualification— s’abaisser à entrer dans le champ politique pour condamner le Front National et ses positions, et, quand on est interrogé sur la catholicité des autres partis, se réfugier derrière une position “d’autorité morale”. Le pape François ne relève pas de cette catégorie. D’abord parce qu’il est le Pontife suprême à qui est confiée la Barque de Pierre, et ensuite parce qu’il est chef d’État.
Or, c’est cette distinction qui manque cruellement aux critiques de Laurent Dandrieu. En tant que chef d’État, le Pape a des moyens techniques et diplomatiques pour faire connaître ses positions aux États, par le biais normal du droit international et des règles diplomatiques. Si donc, nous voulons bâtir une critique politique des positions du pape François, il nous faut nous en tenir aux textes “politiques” émis dans ce cadre précis. Ce n’est pas ce que fait ce livre qui utilise, pour une critique politique, des textes ou des déclarations qui ne sont pas, par nature politique — même si elles abordent des sujets politiques —mais morales. Hormis les cas — finalement minoritaires — où le Pape se place en chef d’État, tous les discours du souverain pontife doivent être considérés comme émanant d’une autorité spirituelle — et quelle autorité spirituelle ! Ces discours ne s’adressent donc pas aux États pour la mise en place d’une politique précise, mais aux hommes et aux femmes — y compris responsables politiques bien sûr — et à la conscience individuelle et collective des uns et des autres.
Pour le résumer en deux mots : ces textes émanent d’une auctoritas et non d’une potestas. Ils ne sont pas politiques même quand ils abordent des sujets politiques. On peut songer ainsi à ce que les papes disent de l’avortement ou de l’euthanasie. Cette distinction est à la base d’une saine ecclésiologie. Elle n’est pas, quoi qu’en disent certains contradicteurs, un “sophisme jésuite” ou une simple distinction intellectuelle — sauf à tomber dans un nominalisme réducteur. C’est une réalité dont la méconnaissance conduit inévitablement à de graves contresens.
Se tromper avec le Pape ou avoir raison contre lui ?
Venons-en au fond. Laurent Dandrieu veut voir un changement de doctrine de la part de l’Église, sous le pontificat de Pie XII. Quand jusque-là, l’Église mettait en première ligne la défense de la Patrie et de ses citoyens, vient désormais au premier chef l’accueil de l’étranger. On comprend bien que les circonstances terribles de la Deuxième Guerre mondiale sont à l’origine de cette nouvelle réflexion. Notre auteur montre qu’à partir de Pie XII l’enseignement constant du magistère ordinaire de l’Église — en particulier donc par la voix des papes — s’oriente vers la défense et l’accueil du migrant, au nom de la dignité intrinsèque de la personne humaine, allant sous saint Jean XXIII jusqu’à souhaiter, face à l’instauration d’un mondialisme conquérant, des institutions de gouvernance mondiale, ou sous Benoît XVI à définir un “droit fondamental” de la personne humaine à s’installer où bon lui paraît dans le nouveau “village planétaire”, si son bien-être ou celui de sa famille en dépend. Laurent Dandrieu réserve ensuite ses flèches les plus acérées au pape François, dont le mode de communication — de fait parfois surprenant — devient chez notre auteur une tentative de déstabilisation de l’Europe et de collaboration à l’islamisation des vieilles terres chrétiennes.
Nous n’entrerons pas dans le détail de l’argumentation qui nécessiterait d’amples développements, mais qu’il nous soit ici permis de nous étonner de la démarche. Si je suis placé face à “un enseignement constant du magistère ordinaire” depuis plus de cinquante ans, la seule attitude du fidèle catholique devrait être : comment intégrer cet enseignement, même s’il me choque ou me dérange ? Laurent Dandrieu me cite dans son ouvrage comme archétype d’une pensée catholique “stérilisée” par sa papolâtrie et qui finit par se suicider, en citant mon article intitulé par Aleteia d’une des phrases qu’il contenait “Je préfère me tromper avec le pape qu’avoir raison contre lui”.
Je réitère ici mon explication des plus classiques en catholicisme : l’adhésion libre, pleine et adulte de mon intelligence à un enseignement du magistère — fut-il ordinaire — est non seulement un acte de la volonté et de l’intelligence, mais aussi un signe sain de catholicité ; en un mot il s’agit d’un acte de foi. Comme je l’ai déjà écrit, un acte de foi non pas envers chacune des paroles prononcées, mais un acte de foi envers le Successeur de Pierre à qui, seul, ont été confiées les clefs du Royaume. J’accorde bien volontiers par amitié fraternelle à Laurent Dandrieu le droit très légitime et bienvenu de poser des questions ; je reste très réservé sur celui qu’il se donne de s’opposer ouvertement au magistère et de lui refuser une obéissance filiale.
Retrouvez dès demain la suite de cet article sur Aleteia !
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