Comment évoquer un pays, et toute la civilisation qui en découle, sans parler de son art, de sa musique, de ses valeurs et de son public.
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Pour Taher Mamelli, artiste-compositeur contemporain syrien, né à Alep, les deux principaux composants de référence d’une civilisation sont l’art musical et culinaire. « Éléments indispensables et indissociables de notre quotidien alepin » dit-il en souriant.
Effectivement, autour d’une table, bien dressée, notre palais savoure cette cuisine alépine sans égale et notre corps s’envole au rythme de sa musique : « le tarab », cette musique classique traditionnelle qui s’est développée grâce à la présence d’une société très hétérogène, mais d’accord sur un seul point : la note musicale, car elle a su mettre en valeur et apprécier la richesse qu’elle a.
Taher reprend en disant : “Sans la présence d’un public qui apprécie, tout art disparaît, meurt. C’est lui en fait qui détermine l’avenir de telle ou telle chanson”.
La chanson est devenue un business
Et c’est ce que je note aujourd’hui, au niveau mondial, la chanson est devenue un business, une marchandise, un produit mercantile. On assiste à une chute libre dans la valeur artistique de la chanson, à l’étranger, tout comme ici, avant la guerre ça a commencé et ça va continuer. À Alep, peut-être même plus qu’ailleurs, toutes les soirées, sans exception, étaient accompagnées de belles musiques et de vraies chansons. L’intérêt porté à l’art et aux valeurs artistiques était sans égal. Moi, personnellement, j’ai étudié en Grande-Bretagne, et à mon retour j’ai pu travailler et mettre en pratique tout ce que j’ai appris car il y avait un terrain propice : une richesse aussi bien côté producteurs que consommateurs”.
Ainsi notre musique et notre créativité artistique qui traversaient les frontières et cumulaient le succès, encourageaient les amateurs syriens à développer cette vocation, et à passer de professionnels potentiels à de vrais professionnels. « Mais les institutions publiques n’ont pas su investir dans ce capital, du moins autant qu’il le fallait, et avec la guerre elles n’ont pas su les garder ! », poursuit Taher. « C’est vrai, ce n’est peut-être pas la priorité du moment, mais l’art représente une identité, c’est un passeport et ça me coûte de le voir s’afficher sur d’autres scènes, loin de mon pays. Le garder au sein du pays devenait cher (il suffisait de voir les montants que l’on proposait à nos musiciens), et le développer encore plus cher ! Alors, avec beaucoup de volonté, d’initiative personnelle et d’autodétermination, un certain nombre de musiciens et de chanteurs s’est affirmé et a continué à se présenter sur scène dans chaque coin accessible du pays pour garder vivante la vie musicale et culturelle en Syrie, et surtout pour garder la joie dans le cœur de ceux qui y sont restés malgré toutes les pressions, sanctions et restrictions ».
Et il poursuit en disant : « Deux opérettes de ma composition ont vu le jour pendant ces 5 années de guerre, « Je l’aime car c’est mon pays » et « Le sang….. prix de la justice ». Il fallait voir le public qui affluait au théâtre de l’Opéra malgré les mortiers qui tombaient sur la ville. Les gens sont assoiffés d’événements culturels loin de la politique et de leur quotidien morose. Notre arme est notre musique, elle doit retentir plus fort que le bruit des canons ! »
L’art n’est pas un produit de luxe
Effectivement, “l’art est un patrimoine national et doit rester dans son milieu naturel. Et ce n’est pas un produit de luxe duquel on peut s’en passer. C’est de la culture du pays, de toute la société syrienne dans son ensemble et de toute sa variété ethnique dont il est question”.
C’est ce qu’elle tient à affirmer la jeune chanteuse et cantatrice syrienne Linda Bitar : “L’art avant la guerre était en pleine effervescence. En 2008, Damas était la capitale de la culture arabe avec toutes ses variantes et son originalité. La guerre a coupé ce souffle et on s’est retrouvé face à une vague d’artistes qui fuyait le pays, pour différentes raisons, mais rarement politiques ! Beaucoup de professeurs du conservatoire sont partis travailler à l’étranger. C’était une perte pour nous. Et en même temps, une grande responsabilité vis-à-vis de notre public. Il fallait lui montrer qu’on était toujours là, prêts à jouer pour lui de nouveaux spectacles et à préserver notre héritage culturel ! La musique est la face civilisée du pays, il ne faut surtout pas la dévaloriser, quelle que soit la raison. Notre arme est notre voix et il faut qu’on la porte loin. Et je me suis promise d’aller chanter dans chaque ville, communauté ou région, aussitôt libérée, comme je l’ai déjà fait à Hamidiye, à Homs en décembre 2013 », conclut-elle.
Un jeune chanteur syrien : Marc Maarawi
Et dans ce tourbillon de va-et-vient, de nouvelles voix s’élèvent et se distinguent. Comme celle de Marc Maarawi, cet adolescent syrien de 16 ans, de culture française, qui a su développer depuis l’âge de 6 ans ce don du chant qu’il a et qu’il chérit.
Des cours au conservatoire, des entraînements au quotidien ont fait que Marc a pu, en mars 2016, s’inscrire au concours arabe organisé par la MBC, The Voice, et a pu arriver à la demi-finale. « C’était une belle expérience, c’était un jeu, mais un jeu stressant. Et la plus belle chose c’est qu’on était là pour chanter, on était les ambassadeurs culturels de notre pays ».
Donc malgré la guerre et les conditions difficiles que l’on peut imaginer pour un jeune adolescent à Damas, Marc a pu poursuivre ses études au Lycée français Charles De Gaulle, en parallèle de sa jeune carrière musicale, calquant ses déplacements entre Tunis, Amman et Beirut avec les vacances scolaires.
« Je vois la société syrienne comme un bouquet de fleurs où chacun trouve quelque chose à son goût. Et ce beau mélange constitue la vie ! Venez voir les jeunes syriens éduqués dans le système français, en Syrie, ils ressemblent aux jeunes français de France… vous savez la vie est trop courte, aidez-nous à la vivre paisiblement en chantant ! », dit-il pour finir.