“Mourir un peu”, l’un des plus beaux livres de Sylvie Germain.
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Ce livre ne compte pas parmi les plus connus de son auteur et c’est pourtant l’un des plus beaux. Il date de 1997, au risque donc d’être oublié. Le voici heureusement réédité.
Il s’agit d’une méditation sur les questions essentielles que devrait se poser tout être conscient : Qui est Dieu ? Où est-il ? Pourquoi se tait-il ? Peut-il être bon quand le mal défigure sa création ? Sylvie Germain commence par mettre les choses au clair : si Dieu nous échappe, c’est qu’il n’est pas celui que nous voulons qu’il soit, non plus que là où nous lui assignons place. Cette première leçon, elle la donne à partir de quelques grands textes – un court roman de Pär Lagerkvist, Le Bourreau, telle page des Frères Karamazov – qu’elle résume et commente avec un talent qui a dû faire d’elle un grand professeur de français et de philosophie, à Prague, je crois. Nous cherchons mal.
Comment chercher ?
Sylvie Germain, non sans malice, entrevoit la réponse dans une admirable interprétation de La Lettre volée d’Edgar Poe (dans la traduction de Baudelaire). Le sens pourrait être : Dieu se cache là où on ne pense pas à le chercher, parce que ce serait trop facile, sa présence trop évidente. Je pense à quelques fulgurantes lignes d’Alexandre Vialatte : « Dieu se dissimule comme le loup de la devinette qui se cache dans sa propre image au milieu des branches du pommier. On ne voit plus que lui quand on l’a découvert. D’autres ne voient jamais que le pommier. » Il y a de cela. Aux éclairs et aux tonnerres du Sinaï Dieu préfère la brise légère de l’Horeb. Il est partout dans le monde, mais comme en creux : à nous de le chercher. Pour cela il faut partir, c’est-à-dire mourir un peu.
Sylvie Germain nous précède dans cette quête
Par sa lecture de la Bible, sa connaissance de la littérature judaïque, sa fréquentation des philosophes (Levinas, René Girard). Par sa vie en poésie, citations rares et soudaine inspiration personnelle, par son attention aux mots, aux sens qu’ils tiennent de leur étymologie (le mot semondre, le verbe ex-primer). Par son sens des symboles : le pas, la trace, les pieds. En première de couverture, on voit deux pieds, qui sont au bas du Saint Sébastien de Mantegna (celui du Louvre), dans l’angle gauche, le pied en marbre, sanglé dans une sandale à écailles, reste d’une statue romaine, ruine païenne, et, au bas de la colonne de son supplice, le pied vif encore du martyr chrétien. Sylvie Germain ne commente pas ces deux pieds, mais elle doit aimer cette trouvaille de l’éditeur (ou d’elle-même ?). Les pieds qu’elle commente sont les pieds du Christ mort du même Mantegna, à la Brera de Milan. Pieds troués, qui par effet de perspective sortent de la toile, vrai sujet du tableau. Ces variations, qui donnent cohérence à toutes les occurrences du thème, nombreuses dans l’Ancien et le Nouveau Testament, sont au premier rang des richesses de ce livre, qui en compte trop pour qu’on puisse les énumérer.
Au moins faut-il achever par celle qui se présente en fin de volume : un commentaire du Notre Père, qui vient à son heure, au terme de la quête, en réponse aux questions initiales. Réponse qui, bien loin d’être un acquis, une certitude, est une nouvelle question, selon Jean de la Croix : « Plus l’âme progresse, plus aussi elle pénètre dans les ténèbres, sans savoir où elle va. » Sylvie Germain se permet le dernier mot : « Peu importe, il suffit qu’elle aille. La partance est délivrance. »
Sylvie GERMAIN, Mourir un peu, Desclée de Brouwer Poche, 172 pages, 6,50 euros.