En donnant des droits aux robots, l’Homme se poserait-il comme leur Dieu ?Comment garantir que le développement de la robotique se fera toujours au service de l’homme ? Le 12 janvier dernier, la commission des affaires juridiques du Parlement européen a adopté un projet de résolution, sollicitant de la Commission européenne l’adoption de règles en matière de droit des robots.
Aux prémices de l’adoption d’un texte à l’échelle européenne
Ce vote s’inscrit dans le cadre d’une procédure particulière d’adoption des lois européennes (règlements, directives et décisions). Si en principe l’initiative des lois appartient à la Commission européenne, le Parlement européen a la possibilité d’inciter la Commission à présenter un projet en déposant un « rapport d’initiative ». Saisie de ces propositions de règlementation, la Commission européenne n’est pas tenue de donner suite au projet de texte.
Au sein du Parlement européen, les commissions parlementaires peuvent, elles aussi, établir un rapport sur un objet relevant de leur compétence. Elles présentent alors une proposition de résolution au Parlement qui pourra, le cas échéant, user de son droit d’initiative.
C’est ainsi que la commission des affaires juridiques du Parlement européen a rédigé ce « projet de rapport contenant des recommandations à la Commission concernant des règles de droit civil sur la robotique » le 31 mai 2016, adopté le 12 janvier 2017. C’est le 13 février prochain que le Parlement, dans son entier, se prononcera sur l’adoption du projet et sa transmission à la Commission.
Si, à ce stade de la procédure, il n’est pas possible de savoir si l’Union légiférera bel et bien sur les robots, l’initiative de la commission des affaires juridiques du Parlement est révélatrice de la prise de conscience des dangers que pourrait causer un développement anarchique de la robotique.
L’objectif est de façonner cette révolution technologique pour garantir qu’elle soit toujours au service de l’humanité. L’Union européenne doit prendre l’initiative en matière de normes réglementaires, afin de ne pas être contrainte de suivre celles fixées par des pays tiers, comme le Japon ou les États-Unis.
Protéger le travail des hommes
Le rapport de la Commission alerte sur les dangers de la robotique pour le travail : les robots sont susceptibles d’accomplir des tâches autrefois dévolues aux être-humains, ce qui pourrait être préoccupant pour l’avenir de l’emploi et la viabilité des régimes de sécurité sociale.
C’est pourquoi le rapport invite la Commission à suivre de près les conséquences sur l’emploi de l’essor de la robotique. Il hisse au niveau européen la question d’un revenu universel de base, objet de débats à l’heure de la primaire de la gauche en France : « Eu égard aux effets potentiels, sur le marché du travail, de la robotique et de l’intelligence artificielle, il convient d’envisager sérieusement l’instauration d’un revenu universel de base, et invite l’ensemble des États membres à y réfléchir ».
Qui devra répondre des dommages causés par les robots ?
Le rapport fait état d’un danger pour la sécurité des hommes, car la question de savoir qui est responsable des dommages causés par les robots n’est pas résolue.
Des règles harmonisées sont en particulier nécessaires pour les voitures sans conducteur. Les députés proposent la mise en œuvre d’un système d’assurance obligatoire et d’un fonds pour garantir le dédommagement total des victimes en cas d’accident.
À long terme, la possibilité de créer un statut juridique spécial de « personnes électroniques » pour les robots autonomes les plus sophistiqués devrait également être envisagée, afin de clarifier la responsabilité en cas de dommages.
Robotique et dignité de la personne humaine
Le rapport se préoccupe même des « conséquences invisibles pour la dignité humaine », si « les soins et la compagnie d’un robot remplacent les soins et la compagnie d’un humain » et dans le contexte de la réparation ou de l’amélioration de l’être humain.
Comme l’explique Olivier Sarre, collaborateur de la revue électronique Implications philosophiques, l’essor de la robotique trouve son origine dans la volonté de l’homme de dominer la nature. Elle vient à la fois du « désir que chacun a d’avoir accès à un bien-être toujours plus grand » et de « la revendication passionnée de l’égalité entre les hommes ».
Selon lui, « le projet de domination de la nature ne peut voir le jour, même dans l’esprit des hommes, qu’à partir du moment où celle-ci n’est plus porteuse de valeurs. Aussi, avec la modernité, la manière qu’a l’homme d’habiter dans le monde a évolué et la nature sauvage a été domestiquée, à tel point que l’essence même de la nature a été changée : elle est à l’image de l’homme et de l’humanité. (…) La différence entre l’homme et son créateur est alors fortement amoindrie, presque inexistante. Dès lors, l’homme sujet peut lui aussi, en droit, se faire créateur. Et avec les robots autonomes et intelligents, il crée un aspect de lui-même, presque un vicaire, dans la conquête du réel. Ainsi serions-nous tentés de dire que si l’homme donne des droits à sa création c’est parce qu’il l’a fait à son image, et que le droit des robots participe de cet élan démiurgique de l’homme moderne. En donnant des droits aux robots, l’Homme se pose comme leur Dieu ».
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