Les Rohingyas, minorité musulmane en Birmanie, subissent des exactions de l’armée dans l’indifférence générale.
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L’icône de l’opposition birmane aurait-elle viré de bord ? Aung San Suu Kyi, la femme birmano-britannique vénérée par la presse occidentale, prix Nobel de la paix, fut portée à l’écran par Luc Besson dans son film The Lady. Elle reste figée dans les mémoires comme l’opposante historique de la brutale junte militaire, du temps où, muselée et assignée à résidence pendant plus de quinze ans (entre 1989 et 2010), elle opposait son pacifisme et sa détermination aux dirigeants en uniformes. Elle est à présent conseillère spéciale d’État, et ministre des Affaires étrangères d’un pays accusé de maltraiter l’une de ses minorités.
À partir de fin 2010, date de la libération d’Aung San Suu Kyi, le pays a entamé un lent processus de transition démocratique. Pourtant, des violations des droits de l’homme graves continuent à être constatées, en particulier dans l’État d’Arakan où se trouvent les Rohingyas musulmans. L’armée se comporte là comme elle le faisait il y a 10 ans dans les territoires à majorité Shan et Karen : pillant, détruisant, violant, si l’on en croit les rapports d’Amnesty international.
Que pourrait faire Aung San Suu Kyi ?
Certes, les militaires demeurent incontournables dans le gouvernement birman, mais ils ne sont plus tout puissants, comme ils le furent jusqu’en 2010. La Ligue nationale pour la démocratie (LND) d’Aung San Suu Kyi aurait beaucoup de moyens d’agir. Elle pourrait commencer par dénoncer les exactions commises, ouvrir un corridor humanitaire, voire simplement faciliter l’accès des personnels humanitaires. La “Dame de Rangoun” n’en a rien fait, et elle a proposé que le gouvernement nomme sa propre commission pour enquêter sur les crimes de guerres. Composée de de treize membres, elle est dirigée par le vice-président birman, un ancien général élu par les voix des députés militaires. “Ce sont les criminels qui enquêtent sur leurs propres crimes, voilà le problème”, dénonce un homme politique musulman. La commission, nommée début décembre, affirmait début janvier dans un rapport préliminaire qu’il n’y avait “pas de cas de génocide ni de persécution religieuse” dans l’Arakan.
Les militaires ne lâchent pas les commandes
Les militaires et leurs 500 000 hommes continuent à peser de façon déterminante dans le jeu politique birman. Aung San Suu Kyi ne veut probablement pas risquer de s’opposer frontalement à eux, et remettre ainsi en cause la transition démocratique du pays. Une transition dont la première condition, la paix nationale, demeure loin d’être acquise. Les États Kachin et Shan, notamment, continuent à être le théâtre de frictions entre les guérillas ethniques et l’armée. Dans ces conditions la défense des Rohingyas est un combat encore lointain… D’autant plus qu’il pourrait menacer l’atout d’Aung San Suu Kyi face aux militaires : sa popularité.
Le gouvernement birman recense officiellement 135 groupes ethniques différents. Dans cette liste, pas de trace des Rohingyas, qui sont considérés comme une population apatride ! Les Birmans les appellent le plus souvent “Bengalis”, et remettent en cause leur droit à demeurer sur leur territoire. Originaires d’Inde, ils sont perçus comme des éléments étrangers ne partageant ni la foi, ni la culture, ni la langue du pays. Si les Birmans attendent d’Aung San Suu Kyi parviennent enfin à accorder les généraux et les chefs de guérillas ethniques, ils se préoccupent peu du sort des Rohingyas. D’autant plus que leur présence remet en cause un roman national en cours d’écriture : celui d’une nation aux ethnies multiples mais réunies autour de la religion bouddhiste.