Le réalisateur Avi Mograbi et le metteur en scène Chen Alon filment le “théâtre de l’opprimé”.
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Sorti en salles le 11 janvier 2017, le documentaire “Entre les frontières” montre la réalité des demandeurs d’asiles Africains, principalement de Somalie et d’Érythrée. Forcés de fuir leur pays sous peine de finir en prison ou de mourir, ces hommes quittent une prison pour en trouver une autre. Les deux hommes israéliens ont investi le camp de Holot, en plein désert du Néguev, où les exilés croupissent en attendant… en attendant quoi au juste ? La libération, une autre fuite, un destin ou de pouvoir enfin être considérés.
Israël se joue de l’ONU
Le camp de Holot accueille ces Africains en attente du statut de réfugié, ils doivent pointer trois fois par jour et dormir sur place, au risque d’en payer les conséquences et d’aller dans une véritable prison. Après avoir passé plusieurs années en Israël, appris l’hébreu, trouvé parfois un travail, ils ont été emmenés ici, dans l’espoir qu’ils se découragent et partent d’eux-mêmes.
Que fait la communauté internationale, le sait-elle et s’en soucie-t-elle ? Sur le papier, Israël doit donner le statut de réfugiés aux demandeurs d’asiles. Dans la réalité, ces hommes jetés sur les routes à cause de la guerre sont ignorés par cette terre pourtant symbole des réfugiés. Ici, le réalisateur a l’honnêteté de ne pas chercher une solution et la délicatesse de ne pas tomber dans la complainte. “Que ceux qui ont survécu à un tel rejet avant de fonder Israël rejettent aujourd’hui des humains comme leurs parents ou leurs grands-parents ont été rejetés me paraît incroyable”, confie-t-il dans un entretien. Alors il tente, à sa manière, de donner un rôle à ces hommes, qu’ailleurs on leur enlève, et peut-être de créer un pont entre les frontières.
Le “Théâtre de l’opprimé” : une mise en scène de plus ?
Cette méthode créée en Amérique latine dans les années 70 est désormais répandue dans le monde entier. Son objectif est de rendre visible des conflits sociaux et politiques en soutenant la prise parole de groupes marginalisés, opprimés par les pouvoirs totalitaires. Elle entend réveiller l’esprit de contestation indispensable à une société organisée par des mises en situation théâtrales. La mise en place d’un atelier de théâtre dans le camp est ici le fil rouge de l’histoire, chacun se prête au jeu de changer la réalité des choses. Mais ce n’est qu’un jeu. Il permet cependant de connaître davantage l’histoire de chacun et de tous.
Si la situation des réfugiés touche immanquablement à travers ces images, un malaise persiste à regarder ces mises en scènes tirées du réel et des expériences des demandeurs d’asiles. Ils s’amusent à changer la donne, à être quelqu’un d’autre, à inverser les situations, pour un temps. Cela les sauve-t-il pour autant, les soulage-t-il, les rend-il véritablement plus acteurs de leur vie ?
Mais cette mise en scène permet d’avoir accès à la vérité sans trop en ressentir sa dureté : les soldats, d’un côté et de l’autre de la frontière se comportent de la même manière. Les lois sont au-dessus des hommes, les préjugés aussi, et certains hommes se placent au-dessus d’elles. Jusque-là, rien de nouveau.
Chacun protège son pays de ce qu’il juge être de la vermine. Les frontières reprennent leur rôle, elles aussi, malgré la situation dramatique des hommes.
Deux théâtres plutôt qu’un. Le rêve et la réalité.
Deux causes où la vie ne sait plus ce qu’elle vaut et où elle peut se risquer à aller. Il faut donc trouver un moyen de briser le cercle et le théâtre en est peut-être la tentative.
Le jeu du chat et de la souris
Quel avenir, quels objectifs de vie pour des hommes destinés à fuir et à être poursuivis ? Certains semblent s’en contenter quand on leur demande ce qu’ils feraient quand le camp de Holot fermera enfin. Ils ne veulent pas retourner à Tel-Aviv ou à Eilat, ils ne veulent pas entendre à nouveau les insultes et paroles de rejet en tous genres. Alors pourquoi ne pas finir leur vie ici ? Au moins ils ont de quoi manger et l’air est relativement pur. D’autres pensent l’inverse et se reprochent de n’avoir pas persévéré dans leur fuite avant d’atterrir en terre israélienne. L’un est fatigué de fuir, l’autre espère encore trouver un endroit où vivre en fuyant à nouveau. Il espère peut-être oublier par là les réalités d’une telle action : la prison, la poursuite, la torture, la pauvreté ? Ou bien est-ce son courage d’homme qui parle.
Un jour 700 hommes se retrouvent à la frontière égyptienne, une tentative de grève, de révolte, sans succès. Encore une mise en scène ? On les observe, de loin, comme contaminés par l’impossibilité de trouver une issue. Le jeu du chat et de la souris semble être convenu, il a pris, donnant à chacun sa fonction. Pourtant, on s’interroge avec eux sur l’immensité du monde et ses possibilités, à ciel ouvert dans un endroit fermé les têtes demeurent.
“Ce qui me rend unique se mêle au vaste corps”, écrivait Paul Valéry, “là, grain politique, coulent les individus parmi quelques individus”, et l’on espère effectivement que l’esprit de contestation s’élèvera de ceux-là, où l’opprimé ne sera plus au théâtre.