La Syrie occupe une place stratégique au cœur du Moyen-Orient. Cela pourrait expliquer pourquoi nous sommes plus pressés d’y faire respecter les droits de l’homme qu’au Yémen…
Pour qu’Aleteia poursuive sa mission, faites un don déductible à 66% de votre impôt sur le revenu. Ainsi l’avenir d’Aleteia deviendra aussi la vôtre.
*don déductible de l’impôt sur le revenu
Pour comprendre l’intérêt que suscite la Syrie, il nous faut d’abord élargir notre analyse au Moyen-Orient. La région est dominée par deux grands courants musulmans dont l’opposition remonte aux origines de l’islam et une querelle sur la succession de Mahomet : le sunnisme et le chiisme.
Le bloc chiite, mené par l’Iran et soutenu par la Russie, englobe l’Irak et la Syrie*. L’Arabie Saoudite domine quant à elle le monde sunnite, composé entre autres du Qatar et de la Jordanie, et peut compter sur le soutien occidental.
Un nouveau motif de tension entre les deux blocs est né suite à la découverte d’un immense gisement gazier dans le golfe Persique, exploité à la fois par l’Iran et le Qatar. De là ont germé deux projets concurrents de gazoducs, l’un qatari passant par l’Arabie Saoudite et la Jordanie et soutenu par les Américains, l’autre iranien passant par l’Irak et soutenu par la Russie. Les deux projets devaient arriver en Syrie avant de rayonner vers l’Europe. Logiquement, la Syrie a préféré opter pour le projet de ses alliés chiites, au grand dam des Occidentaux.
Pour la France, le projet qatari aurait l’intérêt de la rendre moins dépendante du gaz russe. Pour Marc Fromager, directeur de l’Aide à l’Église en détresse (AED), d’autres raisons peuvent venir expliquer cette complaisance envers des pays appliquant la charia la plus stricte, comme la part croissante de notre dette détenue par ces pays ou notre besoin de vendre des armes à l’État qui en est le plus gros importateur : l’Arabie Saoudite.
Un discours loin des réalités
En Syrie, si Russes et Occidentaux luttent ensemble contre l’État islamique, leurs intérêts sur place sont aux antipodes. Alors que Poutine a tout intérêt à collaborer avec le gouvernement syrien, nous soutenons à l’inverse les rebelles, dans l’espoir d’une destitution de Bachar el-Assad au profit d’un gouvernement sunnite.
Alep, la deuxième ville syrienne, fait partie des points stratégiques du conflit. Récemment reprise par les forces gouvernementales, elle a fait la une des journaux occidentaux. En France, cela nous a été présenté comme une catastrophe : l’autoritaire Bachar el-Assad venait de chasser les rebelles démocrates. Pour la majorité des Aleppins, pourtant, la prise d’Alep a été vécue comme une libération, provoquant des scènes de liesses dans la rue. Pourquoi un tel écart entre le discours et la réalité ?
Lire aussi : Le discours médiatique sur Alep était-il faussé ?
Dans les faits, la rébellion initialement démocratique a été rapidement récupérée par des factions jihadistes souvent étrangères, qui n’hésitaient pas à confisquer les vivres humanitaires et à réserver l’accès à l’éducation et aux soins à leurs seules familles, au mépris de la population syrienne. Dans ces conditions, et malgré son autoritarisme, Bachar el-Assad apparaît comme le seul pouvant encore garantir la survie de la nation syrienne et la coexistence des différentes communautés.
Sortir de notre aveuglement
Il est donc urgent de sortir d’une analyse systématiquement manichéenne de la géopolitique. La situation n’est jamais aussi simple qu’une opposition entre gentils et méchants, mais elle est toujours le jeu de pays qui cherchent à défendre leurs intérêts. Au discours les considérations morales, à l’action les considérations stratégiques. Entre les deux, il y a parfois un fossé, y compris en Occident.
En France, la fermeture de l’ambassade de France en Syrie en 2012 ajoute un aveuglement diplomatique à l’aveuglement idéologique. Contraints à nous en remettre aux yeux américains, nous avons perdu notre indépendance. Surtout, nous n’avons plus les moyens d’entendre ceux qui sont les mieux placés pour nous guider vers la meilleure, ou la moins pire des solutions : les Syriens.
*Bachar el-Assad, le président syrien, est issu du courant alaouite, né du chiisme mais considérée par ce dernier comme une hérésie. Les circonstances ont fait que les querelles théologiques ont été laissées de côté au profit d’une alliance politique avec l’Iran.