Le groupe Ora et Labora s’est fixé pour objectif de se consacrer à l’étude de l’encyclique. (1/2)
Le groupe Ora et Labora s’est fixé pour objectif, durant l’année 2015-2016, de se consacrer à l’étude de l’encyclique Laudato si’. C’est ainsi que ses membres se sont retrouvés à un rythme mensuel pour lire, comprendre et approfondir ce texte essentiel, dont le présent document analyse quelques thèmes de manière synthétique, afin d’introduire à sa lecture.
Suivant ainsi le plan de l’encyclique, après avoir rappelé les fondements historiques et théologiques de l’enseignement du Magistère, il s’attachera plus particulièrement au rapport à la technique et, enfin, au sens de la conversion écologique.
Fondements historiques
L’Église se trouvant dans le monde, son discours est empreint des préoccupations du temps. De même que les encycliques Rerum Novarum et Caritas in Veritate, pour ne citer qu’elles, s’inscrivent respectivement dans les contextes de la crise sociale de la fin du XIXe siècle et de la crise financière de 2008, Laudato si’ répond à la prise de conscience du danger écologique dans le contexte des premières décennies du XXIe siècle, marqué notamment par la « COP21 » organisée fin 2015 en France.
Tout en abordant de manière originale la question écologique sous l’angle de la « sauvegarde de la maison commune » (c’est le sous-titre de l’encyclique), cette encyclique s’insère dans une tradition de pensée pluriséculaire, dont les termes se sont cependant précisés depuis 50 ans sous les magistères de Paul VI, de saint Jean-Paul II, de Benoît XVI et enfin du pape François, dont le nom même est un programme s’agissant de l’écologie, du fait de la référence à saint François d’Assise. En effet, même si l’écologie comme telle est apparue à l’époque contemporaine, la tradition de réflexion de l’Église catholique sur le cosmos et sur le rapport de l’homme à celui-ci est très ancienne. Or on doit d’emblée noter qu’au sein de celle-ci ont toujours cohabité deux courants tendanciellement divergents, que Laudato si’ ambitionne de réconcilier.
La cohérence du discours de L’Église en matière d’écologie
Il existe, d’une part, une tendance qui met l’accent sur la centralité de l’homme dans la création et sur la subordination de celle-ci à ses desseins. Cette tendance poussée à l’excès, et coupée de la tendance alternative qui assure l’équilibre de la vision chrétienne, a donné lieu, à l’époque moderne, à un anthropocentrisme unilatéral, dont la tradition libérale est d’une certaine manière le prolongement. Il existe d’autre part une tendance, qui s’est par exemple incarnée dans la tradition franciscaine, pour laquelle l’homme et la nature sont plutôt envisagés comme étant fraternellement associés dans l’œuvre de la création divine.
Des critiques ont pu souligner par le passé une certaine confusion du discours de l’Église sur les questions écologiques, s’expliquant probablement par cette double tradition, les plus polémiques, à l’exemple de Lynn Wight, allant jusqu’à rendre la religion chrétienne, « anthropocentrique par excellence », responsable de la crise écologique. De même que le christianisme, chez Marcel Gauchet, serait « la religion de la sortie de la religion », chez Wight, le christianisme serait celle du « dépassement du cosmos », et donc serait à l’origine de la destruction de ce dernier.
Pourtant, il suffit de relire les principaux textes du Magistère, que l’encyclique reprend dans sa partie introductive, pour se rendre compte de la grande cohérence du discours de L’Église en matière d’écologie, au sens large, mais aussi de son ancienneté et de sa richesse.
L’homme outrepasse son rôle de collaborateur de Dieu
Succédant à Paul VI, qui alertait dès 1971 dans Octogesima adveniens sur les conséquences dramatiques et inattendues de l’activité humaine sur l’environnement, saint Jean Paul II a, en de nombreuses occasions, rappelé les méfaits liés à cette « erreur anthropologique » amenant l’homme à outrepasser son rôle de collaborateur de Dieu, ou d’intendant de la création, en s’en prenant pour le maître absolu, au point de tyranniser la nature qui, en définitive, se révolte.
Joseph Ratzinger lui aussi rappelait qu’il était nécessaire pour vivre le christianisme « dans toute son épaisseur » de « retrouver la dimension cosmique de la Création ». Devenu Benoît XVI, il a publié trois textes fondamentaux dont il est possible d’extraire cinq principes fondamentaux destinés à guider notre réflexion et notre action : l’homme est au centre de la Création ; il ne peut et ne doit se laisser dominer par la technique ; la nature elle-même est habitée car elle est l’expression d’un dessein d’amour et de vérité ; l’espèce humaine est une famille dont tous les membres sont solidaires ; et, enfin, il faut changer les mentalités et agir.
Il faut enfin se reporter au Compendium de la Doctrine Sociale de L’Église qui reformule ces enseignements d’une manière pratique en insistant sur la responsabilité qui incombe à l’homme de préserver un environnement intègre et sain pour tous. Parce que « le monde s’offre au regard de l’homme comme trace de Dieu », l’attitude de l’homme face à la création doit être « celle de la gratitude et de la reconnaissance ». C’est donc dans cette tradition que s’inscrit le pape François lorsqu’il écrit espérer que l’encyclique nous « aidera à reconnaître la grandeur, l’urgence et la beauté du défi qui se présente à nous ». Le titre même de l’encyclique est une invitation à rendre grâce pour la beauté de la création.
Les fondements théologiques
S’inscrivant dans cette tradition, et après avoir rappelé toute la légitimité de l’Église à parler au monde de l’écologie, le pape François propose de mettre en relief ce qui lui semble être au cœur de la théologie de la création, s’attachant pour cela à trois enseignements clefs.
Le premier concerne la dignité de l’homme, créé à l’image de Dieu : pour dépasser le rapport possiblement antagoniste, qui semble opposer l’homme à la nature, et qui s’incarnerait dans la double tradition chrétienne, le pape François rappelle que la réhabilitation de la nature ne saurait se faire au détriment de l’homme. Autrement dit, la tentation naturelle consistant à penser qu’il faudrait que l’homme s’efface pour que la nature reprenne ses droits est une erreur qui va à l’encontre de la dignité de l’homme, présenté, dès la Genèse, comme étant « à l’image et à la ressemblance de Dieu ».
La création est plus qu’un état, c’est une dynamique
Cela signifie que le monde est le fruit d’un dessein pensé, et non du seul hasard, mais aussi que cette œuvre est maintenue dans l’être, et se conserve. Ainsi, la création est plus qu’un état, c’est une dynamique, un processus qui se poursuit encore, ce qui signifie que le monde reste à achever. Dieu créateur est aussi Dieu Providence et toute la dignité de l’homme procède précisément de son rôle de « collaborateur » de la création. Il revient donc aux hommes d’être causes intelligentes et libres pour compléter l’œuvre de la création.
Une fois son rôle rappelé, il faut que l’homme trouve sa place dans un rapport équilibré et apaisé à la nature et aux objets qui l’entourent. À cet égard, le pape François propose une inflexion nette en rappelant la valeur propre des autres créatures de la création, qui ne sauraient se voir exiger indûment par l’homme « plus qu’elles ne peuvent donner ». C’est vers une théologie profondément équilibrée que nous devons tendre, conscients de la dignité fondamentale de l’homme mais également de la valeur des choses.
C’est le sens de ce beau passage de l’encyclique, empreint d’un pragmatisme associé à une grande élévation, où il est dit que : « La meilleure manière de mettre l’être humain à sa place, et de mettre fin à ses prétentions d’être un dominateur absolu de la terre, c’est de proposer la figure d’un Père créateur et unique maitre du monde, parce qu’autrement l’être humain aura toujours tendance à vouloir imposer à la réalité ses propres lois et intérêts », (Laudatio Si’, n° 75 5 Laudatio Si’, n° 70).
Tout est lié
Enfin, et c’est le troisième volet du développement, il est rappelé comme un leitmotiv qui parcourt toute l’encyclique que « tout est lié » ; autrement dit que l’homme est, depuis l’origine, au cœur d’une relation triple l’unissant à Dieu, à l’autre, son prochain, et à la nature dans un tout harmonieux, que le péché est venu rompre, à l’extérieur comme à l’intérieur. De manière concrète, cela signifie que « la protection authentique de notre propre vie comme de nos relations avec la nature est inséparable de la fraternité, de la justice ainsi que de la fidélité aux autres ».
Ces enseignements sont essentiels pour comprendre que l’écologie chrétienne, c’est-à- dire la science de la « maison commune », est déjà explicitée dans les premières lignes de l’Ancien Testament et que loin d’être une adaptation du discours, la théologie de la création constitue une réaffirmation d’une vérité première, celle de la création. Ainsi, dans la tradition chrétienne, le pape François rappelle que « dire création, c’est signifier plus que nature, parce qu’il y a un rapport avec le projet de l’amour de Dieu dans lequel chaque créature a une valeur et une signification », (Laudatio Si’, n° 76).