De Beyrouth à Qaraqosh sur les traces des chrétiens martyrs du Moyen-Orient.
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Aux yeux des Damascènes, les Homsiotes n’ont pas toute leur raison. Selon la légende, les troupes mongoles prirent la fuite lorsqu’ils apprirent que l’air pollué de Homs rendait fou… Les habitants, bien malins, auraient accueilli l’envahisseur en se faisant passer pour tels !* Depuis, les blagues se payant la tête des habitants de la troisième ville de Syrie sont aussi répandues que les histoires belges en France.** En parcourant les quartiers dévastés de la vieille ville de Homs et ses faubourgs en ruines, on se dit qu’il faut effectivement être fou pour continuer d’y vivre.
Pourtant, une poignée de jeunes Français y a posé ses valises. Ils vivent au cœur du quartier arménien, dans un obscur petit appartement loué au patriarcat grec-melkite catholique. Les volontaires de l’association humanitaire SOS Chrétien d’Orient participent à la reconstruction de la cathédrale Notre-Dame-de-la-Paix, mise à sac par les rebelles islamistes. Dans le 4 pièces exigu situé au rez-de-chaussé d’un immeuble de ciment terne, il n’ont que quelques heures d’électricité par jour et pas d’eau chaude. La lumière ne pénètre que brièvement le matin par l’unique fenêtre du salon. Il s’éclairent aux lampes à LED reliées à un accumulateur. En guise de chauffage : deux poêles à mazout au goutte-à-goutte capricieux dont l’un s’éteint fréquemment au beau milieu de la nuit.
Les volontaires (tous bénévoles) passent leur journée à servir une soupe populaire aux voisins du quartier, chrétiens et musulmans et œuvrent sur le chantier de la cathédrale stigmatisée. La cour est encore souillée de graffitis infamants à la gloire du “califat islamique”.
L’édifice a servi de quartier général aux islamistes, abritant au sous-sol un hôpital de campagne tout équipé. En quittant la ville après une capitulation sous condition négociée par l’Onu en 2014, ils ont laissé un bien cruel souvenir : une bombe cachée sous la cathèdre (le siège de l’évêque situé à droite de l’autel, Ndlr) qui a fauché plusieurs paroissiens et fragilisé un peu plus la bâtisse.
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L’Apocalypse
Sur des kilomètres et des kilomètres, Homs n’est plus que ruine, grisaille, désolation et silence de mort. Pas un oiseau ne vole et pas un arbre n’a survécu aux bombardements. Pas une maison ni un immeuble n’est intact. Les constructions sont éventrées, pulvérisées. Ne tiennent encore en équilibre que le noyau des bâtiments — les cages d’escalier, quelques pièces parfois — et les paliers ravagés. Certains étages pendent lamentablement au dessus du vide, retenus par l’armature métallique du béton armé, qui s’arrache à sa gangue de béton comme des griffes hideuses, contorsionnées et enchevêtrées comme des pièges à rats.
L’humanité a totalement disparu. Pas un voilage ni un rideau ne pend aux fenêtres. Pas un résidu d’activité humaine parmi les gravats. Pas un meuble ni une relique de civilisation dans les immeubles aux façades soufflées, ouverts à tous les vents. Le spectacle évoque les images d’archive de Berlin ou de Dresde.
Nous roulons en silence dans une ville fantôme. Les barrages et les checkpoints qui réglementent l’accès aux quartiers rebelles réduits en cendres sont tenus par des conscrits ou des supplétifs de la milice du parti nationaliste de la Grande Syrie.
Nous ne sommes pas censés nous trouver là sans raison valable et tournons casaque après de longues minutes de route à travers ces lambeaux de pierre et d’acier.
Une glace à la pistache
Dans les quartiers indemnes, la vie continue, mollement. Les étals de fruits sont pauvres et les rideaux de fer cabossés, peints aux couleurs du drapeau syrien, sont baissés. Il y a un mois, une roquette venue d’on ne sait où est tombée sur une école. Les jardins d’enfants sont délabrés, déserts. La chaussée en piteux état. Les commerces équipés d’un générateur posé à même le trottoir éclairent les ruelles d’une lumière incongrue. Dans quelques cafés, on joue aux dames, au backgammon en fumant le narguilé, un café turc à la main dans cette atmosphère glauque.
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Nous entrons dans la petite boutique de pâtisserie sur les talons d’Hugo, le chef de la mission d’SOS à Homs. Il devise gaiement de son plus bel arabe à l’accent jordanien, avec le gérant, un jeune homme jovial. Enjoué, ce dernier nous offre le thé et récite des vers d’une poésie de sa composition. Avant la guerre il participait à des concours et s’est même produit à Damas devant un parterre de lettrés. Un père de famille entre dans la petite échoppe. Au martèlement du générateur il a deviné que le congélateur fonctionnerait peut-être et ressort avec de la glace à la pistache pour ses enfants.
Le désert des tartares
Quand vient le soir une seule artère de la ville s’illumine de néons criards. Un restaurant joyeux nous régale de poisson frit, de mezzés étourdissants. Fumant le narguilé avec des amies, une femme élégante au visage impeccablement poudré, les sourcils soulignés de fard, me dit en souriant avec une aisance déconcertante : “Vous êtes Français ? On me dit que je parle français avec un accent parisien, vous ne trouvez pas ?”. À côté d’elle, un landau disparaît dans les volutes de tabac à la pomme et au citron mentholé. “Mon fils s’appelle Adam, j’étudie à l’ISIT (une école de traduction-interprétariat, Ndlr) et je vous remercie d’être venus en Syrie. Soyez les bienvenus à Homs, j’espère que vous passerez un agréable séjour dans mon pays.”
En rentrant du restaurant encore étourdis par cette ville aux contrastes si violents, on se demande qui perd la raison, des Homsiotes ou des visiteurs que nous sommes. Nous croisons les miliciens tenant toujours leurs positions face aux spectres de le rébellion comme le lieutenant Drogo dans le Désert des tartares de Dino Buzzati. Sous un drapeau en loques, la kalachnikov appuyée contre un muret, ils se réchauffent autour d’un braséro dans le noir et le silence absolus. Jamais on ne vit mieux la voie lactée, dans ce ciel pur de Homs, que pas une fumée d’industrie ni une lumière électrique ne viennent polluer. Les étoiles jouent sur les crêtes déchirées des immeubles, se montrent à l’embrasure des fenêtres et des trous d’obus perforants. Les constellations sont si nettes qu’il devient aisé d’en dessiner les contours, du bout des doigts comme si l’on pouvait les toucher.
***
* Un Homsiote se rend chez le concessionnaire pour s’acheter une nouvelle voiture. “J’ai de l’argent, je veux m’acheter une voiture rapide”, dit-il au vendeur. “Cela tombe bien, j’en ai plusieurs : avec cette auto, en partant de Homs à minuit pour éviter les embouteillages, vous pouvez arriver à Damas à 2 heures du matin. Avec celle-ci vous arriverez à une heure et demie et avec celle-là, à une heure pile !” Impressionné, le client veut quand même se donner le temps de la réflexion. Il revient le lendemain : “Finalement je ne la prends pas. J’en ai parlé à ma femme et elle ne voit pas ce qu’on irait faire à Damas à une heure du matin.”
** Le même Homsiote qui a fini par craquer pour la voiture la plus rapide veut vérifier si le vendeur a dit vrai. Il attend qu’il n’y ait plus d’embouteillages et part pour Damas à minuit pile. Il abat les 160 kilomètres de distance en 60 minutes, passe un coup de fil à sa femme à une heure du matin depuis le centre ville pour prouver son exploit et se remet en route. Une heure passe, puis deux, puis trois et il n’arrive toujours pas. À la nuit tombée l’homme rentre enfin chez lui, le dos complètement tordu, harassé par le voyage. “Eh bien que s’est-il passé ?” dit la femme à son mari. “Le vendeur m’a complètement berné ! Dans cette maudite voiture il y a cinq vitesses pour la marche avant mais une seule pour la marche arrière !”
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Lisez la première partie de nos aventures à la frontière syrienne en cliquant ici.
2e épisode, à Damas chez Bashar el-Assad.
4e épisode, le village martyr de Mharedh, pris au piège d’Al-Nosra.
5e épisode, Palmyre tombe pour la deuxième fois.
6e épisode, Daesh inflige un double déshonneur aux chrétiens.