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Après son accident, l’écrivain décide de partir et raconte au jour le jour son périple.
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Sylvain Tesson est écrivain. Plus que jamais. On connaissait ses talents, ils avaient scintillé dans les recoins de son journal Sibérien, dans ses nouvelles, celles qui le faisaient saltimbanque pour un soir, grimpeur audacieux, ou grognard à moto.
La vie des hommes demeure. La sienne a connu quelques tracas. Ne pas trop en parler, avaler les kilomètres et ravaler ses larmes, Sylvain Tesson invite dans son dernier ouvrage à une vie d’écolier buissonnier, ses Chemins Noirs n’étant rien d’autre que des recoins de cours de récréation. On y aura joué enfant, pourquoi s’en priver si la seule excuse donnée par le monde moderne est celle d’être devenu une grande personne. Car Sylvain Tesson, au détour des sentiers, ne fait pas que s’égratigner les mollets, il juge, de toute sa hauteur, un monde sauvage qui a renié ses élans naturels. Le monde moderne est sauvage, il est cruel et grossier, les zones périurbaines le prouvent, et le géographe qu’est Tesson ne se prive pas de vilipender ces nouveaux espaces, espaces de rien, du vulgaire, la laideur du béton, si inconfortable pour le marcheur, la laideur d’un monde qui ne parvient pourtant pas à supprimer la verdeur d’un pays qui change de mue au rythme des saisons, des amis qui vous suivent et vous tiennent compagnie, d’une pipe qui fume.
On parle de littérature, on parle de l’inconstance des choses, on parle de la vie simple et sèche à l’image des jambes du pèlerin. Marcher, manger, dormir, rien de plus, sinon les rêves, sinon le constat alarmant de la basse fosse dans laquelle le monde a décidé de plonger. Le monde, le cosmos, ce chaos de matière, de hasard et de destins brisés. Telle chute vous aura privé des plaisirs du vin, elle vous aura modifié le visage, et c’est tant mieux. Le visage amoché, on ne suit plus les destinés batardes des bélitres sans cervelle, des hommes d’action sans réflexion, des poètes sans attaches. Avant Tesson, d’autres ont joué au ménestrel médiéval, parcourant les chemins, accouchant d’une œuvre qui trouve ses racines dans la boue délicieuse des chemins de traverse. D’autres l’ont fait, mais c’était il y a bien longtemps, avant l’internet, avant la photographie systématique, avant les centres commerciaux, les échangeurs d’autoroute, les stations-service glauques, les parkings illuminés pour personnes.
Sylvain Tesson se plie à son patronyme, il cherche le couvert des arbres et décide de partir en chouannerie solitaire. Il moque l’état d’esprit moderne, et il le fait très bien, il questionne, il conclut. La parade est efficace, l’estocade frappe en plein cœur, nous avons avec Tesson un nouveau Cyrano, qui, à défaut d’un membre inutile au milieu de la face voit sa belle gueule étirée et tordue. Cyrano donc, qui s’élève, pas bien haut peut-être, mais tout seul.
Ses chemins sont donc à lire, et pour vous en convaincre, quoi de mieux qu’une citation tirée de ces pages indolentes : « Le plateau entre l’Indre et le Cher se mouchetait de lotissements, de hangars, de ronds-points. Voilà deux mois que je baquenaudais entre ce mobilier, tâchant de le masquer à ma vue. Cette fois je n’y parvenais plus. Les chemins noirs au moins avaient cette vertu : ils sinuaient entre les verrues des plans d’occupation des sols. Il fallait que les hommes fussent drôles pour s’imaginer qu’un paysage eût besoin qu’on l’aménageât. D’autres parlaient d’augmenter la réalité. Un jour, peut-être s’occuperaient-ils d’éclairer le soleil ? ».
Nous laissons le lecteur sur cette dernière impression, et si Sylvain Tesson ne semble pas être en très bon terme avec le Seigneur, il n’oublie pas que l’homme a besoin d’être transcendé, et que la transcendance, on la trouve au creux des chemins terreux, des églises privées de fidèles, et dans les Psaumes et les partitions les plus élevés.
Sur les chemins noirs, de Sylvain Tesson, Gallimard, octobre 2016, 142 pages, 15 euros.