“Jamais je n’aurais pensé pouvoir ressentir, alors âgé de 12 ou 13 ans, un sentiment tout à fait nouveau et parfaitement inconnu de moi.”
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Je suis un jeune Parisien de bientôt 25 ans que rien ne destinait à se tourner un jour vers cette chose indistincte et que j’appelais jusqu’à récemment encore « la religion ». Pourtant, depuis bientôt deux ans, je me considère comme catholique – et je serai très prochainement baptisé.
La culture, sous toutes ses formes, a fait office de porte entrebâillée sur un monde de spiritualité qui me paraissait auparavant inexistant – avant de me sembler inaccessible. Chaque livre ouvrait des questions ou éveillait des soupçons en moi, qui préfiguraient quelque chose à venir d’insaisissable et d’incertain. Ce sont aussi des livres qui, une fois mes 20 ans passés, formulèrent distinctement les questions qui m’agitaient déjà confusément depuis longtemps, et y apportèrent des réponses.
Néanmoins, avant même que le processus ne s’amorce, qui devait me conduire à la foi, c’est par une autre forme de culture qu’elle s’est introduite en moi, de manière moins intellectuelle et plus instinctive : la musique. J’ai commencé à apprendre le solfège et le piano vers mes 6 ans, découvrant ainsi un répertoire musical très riche, mais dont l’essence religieuse demeurait un privilège de simple auditeur, les enfants jouant plus logiquement des sonatines de Mozart que des cantiques de Bach.
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Une nuit de décembre, au cours d’un interminable trajet en voiture, assis à l’arrière et à moitié somnolent, je me souviens d’avoir entendu le début de la Passion selon saint Jean de Bach, les ondulations inquiètes des violons et la basse obstinée de l’orgue, le chœur déchirant et la lente progression tourmentée de ce morceau aussi puissant qu’envoûtant. Jamais je n’aurais pensé pouvoir ressentir, alors âgé de 12 ou 13 ans, un sentiment tout à fait nouveau et parfaitement inconnu de moi. Il m’était alors difficile de le décrire, et bien davantage encore de le nommer : il s’agissait d’une souffrance très vive, mais que n’escortait aucun désespoir. Une infinie tristesse pourtant lumineuse, et qui semblait s’élever, là où les tristesses ordinaires semblent faites de ténèbres et s’abattent sur vous. C’était une sorte d’empathie subite et absolue pour le monde entier, une compassion universelle. À vrai dire, je crois avoir pour la première fois pris conscience de l’existence d’une entité en moi que je ne parvenais pas à identifier avec assurance, et qui n’était ni tout à fait mon corps, ni tout à fait mon esprit.
J’ai eu depuis l’occasion d’écouter de nombreuses œuvres musicales, mais celle-ci opère toujours sur moi le même effet. D’autres morceaux, comme le « Ave Regina Caeloroum » de Haydn, me donnent plutôt l’impression d’une élévation très spirituelle, d’autres, comme le requiem de Fauré, et plus particulièrement le voluptueux « In Paradisium » qui conclut l’œuvre, paraissent davantage s’adresser à mon corps et à mes sens. Rares sont ceux qui parviennent à toucher directement mon âme et à s’en saisir avec tant de puissance.
Je conçois l’existence d’une multitude de manières dont Dieu peut se manifester et dont l’on peut, à partir de rien (ou du moins de ce que l’on pense n’être rien), le reconnaître et se tourner vers lui. J’ignore la part qui, dans ce contact entre l’homme et Dieu, appartient au premier, et celle qui échoit second. Je ne puis que me réjouir d’avoir été saisi au cœur, moi qui n’accordait d’importance qu’à mon corps et à mon esprit, et de l’avoir été par le plus mystérieux et le plus universel des instruments qui soit : la beauté.
« Tes œuvres sont admirables, Et mon âme le reconnaît bien. » (Psaumes 139, 14)