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Donald Trump a été élu 45e président des États-Unis.
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Déjouant tous les pronostics, Donald Trump s’est imposé dans la nuit, ce mercredi 9 novembre face à Hillary Clinton. Le décompte des bulletins n’était pas encore fini quand le nombre de grands électeurs obtenu par le candidat républicain a largement dépassé la barre médiane. Le “president elect” s’imposait par 279 grands électeurs contre 218 à l’heure où nous publions cette analyse. Qui est Donald Trump ? À quoi ressemblera l’Amérique désormais ? Quelle politique mettra-t-il en œuvre ? Olivier Hanne, Thomas Flichy et Gregor Mathias braquent sur le 45e président des États-Unis un projecteur bienvenu.
Dans son livre L’abolition de l’esclavage paru en 1861, en pleine Guerre de Sécession, le Français Augustin Cochin s’exclamait à propos du système politique américain : « la patrie de Franklin semble devenue le tréteau de M. Barnum” (1). À moins que l’on découvre des manipulations électorales, comme les deux candidats le laissaient craindre durant la campagne, Donald Trump sera bien élu président des États-Unis. Au-delà de ses outrances verbales, Trump conduira la destinée de son pays pendant au moins quatre ans et devra en finir avec l’impression de « Barnum » qu’a laissé cette campagne électorale. Quels seront les grands axes de sa politique et dans quel cadre international gouvernera-t-il ?
Quelle équipe pour quelle politique ?
Donald Trump se présente comme une personnalité indépendante sur le plan politique : démocrate au départ, il se rapproche au début des années 1980 des républicains en soutenant Ronald Reagan. Une décennie plus tard, il finance la campagne de Bill Clinton à la hauteur de 100 000 dollars. D. Trump est de religion presbytérienne. Il a été très influencé par un prêcheur, N. Peale, qui met en avant l’initiative personnelle afin de vaincre tous les obstacles. Les signes que sa candidature a des chances d’aboutir sont nombreux. Il séduit la classe moyenne américaine frustrée par la politique de Washington qui craint le chômage et la paupérisation en raison des délocalisations en Chine ou au Mexique. Donald Trump a un discours de droite (2) mais aussi de gauche (3) voire d’extrême-gauche (4).
Après son élection, Trump va être immédiatement réinvesti par l’énorme masse des conseillers républicains qui l’ont dénoncé durant toute la campagne. Tout l’appareil du parti va revenir vers lui, si bien que sa politique internationale suivra assez fidèlement ce que l’on peut attendre des Républicains, selon le principe “La couronne saisit le vif” (le pouvoir transforme l’individu).
Un bémol toutefois : Trump n’a jamais été lâché par une petite équipe de conseillers, originaux, nés en dehors du Système, sans liens organiques avec le parti républicain, or ceux-là seront poussés à prendre des places essentielles dans son administration.
Aucun de ces conseillers n’est, à vrai dire, très connu. Ils peuvent tous être qualifiés de conservateurs. Notons aussi qu’au moins deux d’entre eux sont passés par l’USNA, la prestigieuse Académie navale d’Annapolis.
Joseph Schmitz est de ceux-là. Il a exercé les fonctions éminentes d’inspecteur général des armées américaines sous la présidence de George W. Bush. Il a une fascination pour le baron de Steuben, officier prussien qui, après avoir servi le roi de France, a participé à la guerre d’Indépendance et a été l’un des premiers grands organisateurs de l’armée américaine. Joseph Schmitz est catholique romain et chevalier de l’Ordre de Malte. Il est un autre aspect de son parcours : il a été l’un des responsables de la société militaire privée Blackwater, qui a fait l’objet de critiques pour ses interventions, notamment en Irak.
George Papadopoulos s’est beaucoup intéressé aux problèmes géopolitiques de la Méditerranée orientale, notamment à la place qu’y occupe la Grèce dans ses rapports avec les puissances voisines. Il a toujours été assez distant de la Turquie et très proche d’Israël.
Walid Phares est professeur et docteur en sciences politiques et avocat. A ce titre, il intervient régulièrement dans les media, notamment pour évoquer la situation du Moyen-Orient. Libanais maronite, il est connu pour être proche du parti de Samir Geagea, les Forces libanaises. Il aurait participé aux actions de ce parti à l’époque où ce dernier était encore une milice chrétienne, durant la guerre civile. Profondément attaché à l’identité chrétienne maronite, Walid Phares aurait été alors favorable à une partition du Liban et à la constitution d’une nouvelle entité politique libanaise regroupant l’ensemble des chrétiens autour du Mont-Liban, plus spontanément tournée vers Israël que vers l’entité palestinienne en devenir.
En raison de son caractère et de la présence à ses côtés de ces conseillers, la géopolitique trumpienne pourrait surprendre et quitter les axes traditionnels des Républicains, depuis Reagan jusqu’à Bush. Mais ces remous en surface devront cohabiter avec la lame de fond, qui est celle du parti. Quoi qu’il en soit, son équipe internationale sera constituée d’individus qui connaissent la réalité du monde et la géopolitique du Moyen-Orient.
Quelle géopolitique ?
Donald Trump ne s’exprime que rarement sur son programme de politique étrangère. Il expose des positions générales mais se garde d’expliquer la façon dont il atteindrait ses objectifs. Au-delà du caractère imprévisible (5), populiste (6) et parfois provocateur (7) du candidat à la présidence, ses connaissances en matière de relations internationales semblent limitées (8). Il a plus exactement une vision très comptable des relations internationales.
Concernant l’OTAN, les déclarations de Trump doivent être interprétées à la fois comme un signal favorable vis à vis de la Russie – qui s’inquiète depuis les années 1990 de l’extension indéfinie de l’OTAN – mais aussi comme un chantage visant à augmenter la participation financière des États européens à l’organisation militaire. L’inflexion géopolitique opérée par Donald Trump lèserait les États européens situés aux marches de la Russie (Pologne et États baltes).
Dans ce contexte nouveau, l’Inde – liée énergétiquement à la Russie et géopolitiquement aux États-Unis – pourrait jouer un rôle d’arbitre entre les deux puissances en Ukraine. Quant à la Chine, même si elle est désignée comme ennemie afin de mobiliser les masses électorales, il ne semble pas que Trump l’envisage comme une véritable adversaire géopolitique (9). En tout cas l’est elle moins que le terrorisme islamique qu’il désire ardemment combattre.
L’inflexion qui est en train de se dessiner, se réfléchit dans la presse des puissances géopolitiquement opposées aux États-Unis (10). De son côté, le Mexique pose deux problèmes essentiels à D. Trump : « Nous perdons contre le Mexique à la fois sur le plan du commerce comme celui des frontières ». D. Trump veut rendre étanche les 1 600 km de frontière américano-mexicaine en terminant et améliorant le mur avec le Mexique, sur modèle de la barrière de sécurité d’Israël, pour mettre fin à l’immigration clandestine des latinos et à la criminalité. Le modèle de la frontière sécurisée pour Trump est le mur construit par la ville américaine de Yuma qui comprend trois murs avec caméras, radios, radars et système d’éclairage sur 200 km. Mais, dans ce domaine, il serait fidèle à la ligne politique de G. W. Bush.
L’arrivée de Trump ne signifie donc pas une nouvelle donne géopolitique. En premier lieu, la façon la plus simple pour les États-Unis, de survivre dans un environnement en pleine dégradation est d’entretenir des guerres maîtrisées qui profitent à leur industrie. En second lieu, un repositionnement géopolitique des États-Unis se heurterait à des obstacles institutionnels. Un rapprochement trop net avec la Russie se heurterait immédiatement à l’hostilité du camp républicain (11). Même si Donald Trump décidait d’un executive order afin de passer en force, le Congrès pourrait refuser de valider certaines de ses promesses électorales. Toutefois, même combattue en interne, l’inflexion géopolitique souhaitée par Donald Trump pourrait fédérer un grand nombre d’États, et surtout d’opinions publiques – désormais focalisées sur la question de l’identité – contre un ennemi commun : le terrorisme islamique.
Il ne faut pas penser que l’élection de M. Trump signifierait un retour pur et simple à l’isolationnisme d’entre-deux-guerres : les États-Unis continueraient à intervenir diplomatiquement et militairement dans le monde entier mais d’une manière plus pragmatique et probablement plus efficace. Les interventions auraient comme objectif principal de sauvegarder les intérêts de États-Unis. Elles seraient moins nombreuses mais plus violentes (12).
Quel Moyen-Orient ?
Au Moyen-Orient, comme G. W. Bush en son temps, Trump aura besoin des forces armées européennes et de leur coopération contre Daech. Il faut s’attendre à un rapprochement avec la Russie, ou du moins à un partage plus aisé entre USA et Russie du survol de la Syrie. Ce rapprochement avec la Russie sera certainement arbitré par Israël, pays déçu par Obama et qui a noué des contacts militaires avec la Russie. Le soutien sans faille de Trump à Israël (contrairement à Clinton) va menacer directement le Hezbollah, le Hamas, voire Téhéran, même s’il n’est pas sûr qu’il veuille aller à l’affrontement diplomatique. Critiquant l’accord sur le nucléaire avec l’Iran, Trump aura le soutien de l’Arabie Saoudite, terrifiée par la montée en puissance de Téhéran dans la région, et à laquelle les Etats-Unis pourraient octroyer des aides financières visant à accompagner sa transition vers l’après-pétrole (13).
L’élection de Trump est aussi un mauvais signal pour les Kurdes, que soutenait l’équipe Obama, mais que les ouvertures de Trump envers la Russie et la Syrie pourraient remettre en cause. Enfin, son soutien à Israël éloigne la perspective d’une pacification des territoires palestiniens.
L’arrivée de Trump signifie donc un retour au Moyen-Orient des années 1970 : partage des zones d’influence entre URSS et USA, stabilisation et normalisation des conflits de grande ampleur, insuccès des revendications palestiniennes. En quelque sorte, le Moyen-Orient pourrait se figer à nouveau…
Olivier Hanne est chercheur-associé à l’université d’Aix-Marseille
Thomas Flichy est chercheur-associé au Centre R. Mousnier, Paris IV-Sorbonne)
Gregor Mathias est chercheur-associé au Centre R. Mousnier, Paris IV-Sorbonne)
Lire aussi : Hillary Clinton concède la victoire à son adversaire après un long moment de suspense
(1) Augustin Cochin, L’abolition de l’esclavage, Paris, 1861, p. 5.
(2) Il s’agit de son discours anti-immigration, sécuritaire, de renforcement de la police et de l’armée et de baisse des impôts.
(3) Il souhaite taxer les riches, relocaliser les entreprises, mener « une reconstruction à grande échelle des infrastructures » pour embaucher les chômeurs, créer une sécurité sociale plus protectrice et rétablir les barrières douanières pour protéger l’emploi.
(4) Trump souhaite réduire la spéculation sur les marchés financiers et séparer les banques de dépôt des banques d’affaires. Son projet d’une sécurité sociale qui couvre tout le monde et son programme de sécurité peuvent séduire l’électorat populaire, noir ou latinos.
(5) Trump est considéré comme imprévisible, mais l’est-il vraiment ? En 1987, il se présente aux élections pour être gouverneur de New York et publie des encarts publicitaires dans les grands journaux. On y trouve pratiquement les mêmes idées qu’il défend près de 30 ans plus tard.
(6) Donald Trump s’appuie en particulier sur la puissante National Rifle Association.
(7) Les provocations de Donald Trump se présentent en effet comme un artifice médiatique visant à capter l’attention du public. Cela ne l’a pas empêché de se montrer très mesuré et calculateur lorsqu’il s’agissait de repenser les lois de finances. Ses tractations avec les banques, l’illustrent bien.
(8) Ainsi, pendant la Republican National Convention de Cleveland le 21 juillet 2016 il déclare dans une interview : « Je pense que la Turquie peut faire beaucoup contre l’Etat islamique, et j’espère que si j’instaure un accord avec eux, ils en feront encore plus (…) Je suis très admiratif des Kurdes (…) Ce serait vraiment merveilleux si nous pouvions, d’une manière ou d’une autre, les faire travailler ensemble ». Pourtant Donald Trump pourrait avoir quelques connaissances sur la Turquie où sa compagnie privée est implantée.
(9) La Chine est surtout accusée « d’augmenter le chômage, de voler les technologies, revendre des copies à prix cassé ». Selon une étude américaine, les Etats-Unis ont perdu 2,4 millions d’emplois, entre 2004 et 2011, en raison des importations de produits chinois moins chers.
(10) Dans la presse russe, Donald Trump apparaît comme un personnage ambivalent: il est vu à la fois comme un homme d’affaires pragmatique prêt à s’engager aux côtés des Russes en Syrie et simultanément gratifié du surnom de « bouffon du palais », à l’image de Vladimir Zhirinovsky. La presse chinoise répond de façon rationnelle aux outrances de Trump, tout en calculant prudemment le décalage entre ses discours électoraux et sa politique future. La Chine espère en réalité une position plus réaliste des Etats-Unis dans l’océan Indien, voire une coopération dans la lutte contre le terrorisme. De son côté, Téhéran, qui sent déjà intuitivement qu’elle pourrait être sacrifiée, n’hésite pas à relayer des articles de la presse libérale américaine qualifiant le candidat de dangereux.
(11) Par exemple, le sénateur Barrosso, du Wyoming, écrivait un article dans le Wall Street journal intitulé : « Why the Russians can’t be trusted in Syria ». L’on sait par ailleurs que le projet de loi du Sénat S 2277, qui souhaitait donner le pouvoir au président de déclarer la guerre à la Russie après l’affaire ukrainienne, était soutenu par 26 sénateurs républicains.
(12) “I will never send our finest into battle unless necessary, and I mean absolutely necessary, and will only do so if we have a plan for victory with a capital V”.
(13) Ces aides pourraient en outre être assorties de transferts de technologie, dans des secteurs de pointe comme l’industrie aéronautique et l’informatique de précision.