Seigneur frondeur puis repenti.
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Depuis le 4 septembre et jusqu’au 2 janvier 2017 on peut voir dans la salle du Jeu de paume du Domaine de Chantilly, une exposition de premier ordre sur le Grand Condé. Elle est accompagnée d’un catalogue qui en pérennisera le rayonnement. Son commentaire serait sans fin. Allons à l’essentiel. Si l’on veut connaître et comprendre le XVIIe siècle, rien n’est plus sûr que de l’aborder avec Louis II de Bourbon, duc d’Enghien, prince de Condé à la mort de son père, dit le Grand Condé.
Condé, incarnation du Grand Siècle
Sa vie, qui d’un guerrier d’instinct et capitaine illustre fit un prince ami des arts, des lettres et des sciences, marque le passage du baroque au classicisme. Son tempérament, qualités et défauts poussés aux extrêmes, illustre le Siècle en tous ses états, les pires et les meilleurs. À 21 ans, vainqueur à Rocroi, il sauve la France et son cousin, le futur Louis XIV, qui n’a que 4 ans ; huit ans plus tard, à la tête de la fronde des Princes, il passe à l’Espagne et combat son pays, avant de revenir au service de son Roi. Impie, protecteur des libertins, il se convertit et fait une fin édifiante. Homme de guerre, il se passionne pour tous les ouvrages de l’esprit, entouré d’écrivains, de peintres, de savants, de botanistes en son domaine de Chantilly. Bref ! Il incarne le Siècle.
Aussi est-il présent en toutes ses grandes œuvres. Pour corriger le portrait fielleux qu’en trace Saint-Simon, il faut lire celui qu’en fait le cardinal de Retz, tout en nuances, ou La Bruyère dans Les Caractères (au chapitre Du Mérite personnel) sous le nom d’Aemile. Pour le suivre, du passage du Rhin à la réception du Roi à Chantilly (qui coûta la vie à Vatel), il faut lire les lettres de Mme de Sévigné. Voltaire, qui n’aime pas les héros « saccageurs de provinces » ne cache pas son admiration dans son Siècle de Louis XIV :
“J’ai connu un ancien domestique de la maison de Condé qui disait que le Grand Condé, à l’âge de vingt ans, étant à la première représentation de Cinna, versa des larmes à ces paroles d’Auguste :
Je suis maître de moi comme de l’univers :
Je le suis, je veux l’être…
C’étaient là des larmes de héros. Le grand Corneille faisant pleurer le grand Condé d’admiration est une époque bien célèbre dans l’histoire de l’esprit humain.”
Hélas, Voltaire reste lui-même en dénigrant la conversion du héros et sa fin pieuse : « Il éprouva la caducité avant le temps ; et son esprit s’affaiblissant avec son corps, il ne resta rien du Grand Condé les deux dernières années de sa vie. »
Bossuet, le fidèle ami
Mais que pèsent ces lignes devant l’oraison funèbre que Bossuet prononça lors des funérailles de celui qui fut son ami. Il faut la lire et la relire. C’est un sommet de ce qu’on a appelé justement « le grand siècle des âmes ». Car à la gloire du héros, et à ses faits d’armes, l’évêque de Meaux oppose un verset de saint Jean en sa première épître : « La véritable victoire, celle qui met sous nos pieds le monde entier, c’est notre foi. » Et il achève ce qui fut sa dernière oraison funèbre : “Agréez ces derniers efforts d’une voix qui vous fut connue. Vous mettrez fin à tous ces discours. Au lieu de déplorer la mort des autres, Grand Prince, dorénavant je veux apprendre de vous à rendre la mienne sainte : heureux si, averti par ces cheveux blancs du compte que je dois rendre de mon administration, je réserve au troupeau que je dois nourrir de la parole de vie les restes d’une voix qui tombe, et d’une ardeur qui s’éteint.”
Faut-il ajouter un dernier texte à cette anthologie du sublime ? Alors ce sera la fin du chapitre Bossuet, orateur, dans le Génie du christianisme.
“… Lorsque, après avoir mis Condé au cercueil, il appelle les peuples, les princes, les prélats, les guerriers au catafalque du héros ; lorsque, enfin, s’avançant lui-même avec ses cheveux blancs, il fait entendre les accents du cygne, montre Bossuet un pied dans la tombe, et le siècle de Louis, dont il a l’air de faire les funérailles, prêt à s’abîmer dans l’éternité, à ce dernier effort de l’éloquence humaine, les larmes de l’admiration ont coulé de nos yeux, et le livre est tombé de nos mains.”
Le Grand Condé Le rival du Roi-Soleil ?, par K. Béguin, P. Dandre, Deldicque, Snoeck, 232 p., 29 euros.