Désormais, la modification de l’ADN d’un humain est accessible, à bas coût et rapidement.
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Au Mexique, un enfant est né de trois parents. En Ukraine, une petite fille doit naître dans la même situation. En Chine, des scientifiques ont tenté de modifier un gène défectueux dans plusieurs embryons humains. Tout cela ne se passe pas dans un film de science-fiction mais dans le nôtre. Cela est rendu possible par l’avancée de la science en matière de modification de l’ADN.
Les scientifiques sont en mesure d’ « éditer » l’ADN depuis le début des années 1970. Mais cela exigeait une logistique importante, beaucoup de temps, et coûtait donc très cher.
Une nouvelle technique, appelée le CRISPR-Cas9 permet de modifier une séquence ADN de façon rapide, facile, et à bas coût. Le CRISPR-Cas9 est un enzyme qui, programmé, se fixe sur une séquence spécifique de l’ADN et permet de la « couper ». Cette technique est par ailleurs si simple que des étudiants en biologie de niveau master seraient en mesure de la maîtriser après quelques semaines de pratique.
Concrètement, si cet enzyme permettrait de guérir des maladies rares en « coupant » le gène responsable, il permettrait aussi, en s’attaquant aux cellules germinales (celles qui déterminent l’ADN des descendants), de transformer irréversiblement le génome d’une espèce, de l’éradiquer voire même, de « fabriquer quelqu’un » en insérant des gènes de différents individus dans les gamètes des parents, comme cela a été fait au Mexique et en Ukraine. « On a acquis le pouvoir d’avoir une influence sur notre propre évolution. » confirme David Bikard, responsable de laboratoire à l’Institut Pasteur.
Pour le moment, cette technique concerne en priorité la recherche. Mais les laboratoires pharmaceutiques et les entreprises réfléchissent déjà à des applications. Jusqu’où pourrait-on aller pour préserver l’homme des maladies ? Jusqu’à éradiquer les espèces qui les propagent, comme les moustiques, voire même, semble-t-il, jusqu’à créer un individu parfait, et modifier la lignée génétique humaine.
L’homme à la place de Dieu ? Ce pourrait être bientôt – ou déjà – une réalité.
Guérir les maladies rares
Dans la salle Médicis du Sénat, le jeudi 27 octobre, des scientifiques, un politiste, des entrepreneurs, et un père d’une enfant atteinte d’une maladie génétique rare font entendre un chœur enthousiaste. « Le monde des maladies rares est en train de changer. » Les thérapies géniques, utilisant la technique du CRISPR-Cas9 pourrait permettre de guérir des maladies rares jusque là incurables.
Le bilan des maladies rares, à 80% d’origine génétique, est en effet navrant. 3 millions de Français seraient concernés, 30 millions à l’échelle de l’Europe. La moitié touche des enfants qui voient leur espérance de vie réduite à quelques semaines. « 99% de ces maladies n’ont pas à l’heure actuelle de traitement curatif », a énoncé Christian Cottet, père d’une enfant atteinte d’une maladie rare et directeur de l’Association française contre les myopathies.
Mais toucher à l’ADN n’est pas rien. Jean-Michel Race, directeur de l’Agence nationale de sécurité des médicaments, en a conscience. « Nous devons faire en sorte que l’enthousiasme autour des nouvelles thérapies ne masque pas les potentiels risques pour les patients ». L’Agence nationale de sécurité des médicaments délivre des autorisations lorsque la sécurité du patient est avérée et, plus encore, quand le niveau d’exigence éthique est suffisant. « Le législateur a mis des conditions d’examen relativement voisines entre la PMA et la thérapie génique. » La durée d’examen des demandes est plus longue et il y a une obligation de transversalité de compétences.
La prudence de l’Agence nationale est en effet proportionnelle aux conséquences que pourraient avoir la généralisation d’une telle technique pour guérir certaines maladies ou limiter leur propagation.
L’homme démiurge du vivant
Les moustiques propagent des virus tels que le paludisme, la dengue ou, plus récemment, le virus « zika ». Pour lutter contre ce fléau, de larges quantités d’insecticides néfastes pour l’environnement sont utilisées, en plus des méthodes « classiques » telles que l’utilisation de moustiquaires. Ce n’est néanmoins pas suffisant. La génétique pourrait offrir de nouvelles solutions plus efficaces, en usant du « forçage génétique ».
Le « forçage génétique », ou « gene driving », est une stratégie visant à forcer l’hérédité d’un trait au travers des générations. Il s’agit de « faire en sorte qu’un trait génétique porté par un individu précis se propage au fur et à mesure, en terme de quelques générations, à toute la population de l’organisme vivant », explique ainsi David Bikart, livrant une nouvelle définition de l’eugénisme.
En effet, si la modification des cellules « somatiques » ne concerne que l’organisme vivant qu’elles composent, les cellules « germinales » impactent les gamètes, et donc se transmettent aux descendants. Il est ainsi possible, en modifiant l’ADN d’une certaine quantités d’individus d’une espèce, d’impacter durablement le génome de toute l’espèce dans le temps.
En usant du « forçage génétique » sur les moustiques, on serait ainsi en mesure de les éradiquer entièrement dans une zone géographique, ou les modifier génétiquement pour qu’ils ne transmettent rien à l’humain. « On peut choisir d’éliminer les populations de moustiques en introduisant un gène létal grâce à CRISPR, en les rendant stériles » déclare ainsi Frédéric Simard, directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développement. Autrement dit : plus de moustiques, plus de maladie. « L’autre stratégie serait d’insérer dans leur génome des gènes antiviraux qui vont les vacciner contre les pathologies qu’ils nous transmettent. »
Transformer le vivant pour protéger l’homme. « Il faut mettre cela en perspective par rapport à ce qui se passe actuellement avec l’épandage massif de produits chimiques dans l’environnement », considère Frédéric Simard. Jusque là, l’assemblée semble d’accord, quoique avec des réserves. Mais la prochaine étape semble se profiler. Souhaitera-t-on un jour transformer l’homme pour le protéger ?
« On a fabriqué quelqu’un ».
“Le premier enfant génétiquement modifié est déjà né il y a quelques semaines, conçu dans le secret d’un laboratoire, dans un pays où cela n’est pas explicitement interdit. Il a été conçu in vitro avec la technique controversée de FIV 3 parents par transfert nucléaire, par un couple qui voulait éviter de transmettre à son enfant sa maladie génétique » a dénoncé Blanche Streb, directrice des études d’Alliance Vita.
Ce cas, rendu public le 27 septembre par l’hebdomadaire britannique New Scientist, a vu naître un bébé porteur du patrimoine génétique de ses parents, mais aussi d’ADN provenant d’une donneuse. Les parents auraient donné naissance à deux petites filles auparavant, toutes deux décédées à cause du syndrome de Leigh, une maladie liée au dysfonctionnement des mitochondries, dont la mère est porteuse saine.
Voulant éviter cela à leur futur enfant, ils ont missionné un docteur américain, le docteur John Zhang, qui a extrait le noyau (porteur de l’ADN) d’un des ovocytes de la mère et l’a inséré dans celui d’une donneuse dont le noyau avait été préalablement ôté et qui n’était pas porteur des mytochondries malades. L’ovocyte ainsi formé a ensuite été fécondé in vitro avec un spermatozoïde du père.
Cette opération devait éviter à l’enfant d’hériter du syndrome de Leigh. Il semble, néanmoins, que l’enfant soit porteur de certaines mitochondries malades.
Blanche Streb, rappelant ces faits, a réaffirmé son soutien à l’utilisation de CRISP-Cas9 pour soigner les maladies génétiques, mais a remarqué : « Avec la FIV 3 parents, on n’a soigné personne, on a fabriqué quelqu’un. Beaucoup d’inconnus pèsent désormais sur la santé future de cet enfant qui se retrouve cobaye à vie de cette technologie qui l’a conçu. »
Ces nouvelles techniques, qui expérimentent sur le vivant, pourraient causer un grave danger à l’intégrité et la dignité de l’être humain en expérimentant sur des embryons qui naîtront ensuite, hypothéqués par l’incertitude de la technique qui les a mis au monde. Et ce, même si cela permet à la recherche d’avancer. “Notre position est de rappeler l’importance de protéger l’intégrité de l’être humain dès son stade embryonnaire contre toute exploitation qu’elle soit motivée par des intérêts particuliers ou collectifs”, a rappelé Blanche Streb.
La loi, en France, protège encore l’embryon. Elle est impuissante à empêcher de nouvelles expérimentations à l’étranger. Hervé Poher, sénateur du Pas-de-Calais, a ainsi osé poser la question fondamentale : « Jusqu’à quand la limite sera-t-elle posée dans les modifications du génome humain ? »