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Saint Martin, un homme de feu au service de l’évangélisation !

Georges Lallemant, La charité de saint Martin, 1624-30, Paris, Petit Palais, © RMN-Grand Palais / Agence Bulloz

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Paul Préaux - publié le 03/11/16
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“Il n’y avait que le Christ sur ses lèvres, que la bonté, la paix, la miséricorde en son cœur.”

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En 2016, la coïncidence du jubilé de la Miséricorde et du 1700e anniversaire de la naissance présumée de saint Martin, sur le territoire de l’actuelle Hongrie, nous invite à redécouvrir cette grande figure de sainteté et sa postérité spirituelle dans la lumière de la miséricorde divine. Un tel rapprochement n’est pas artificiel, puisqu’en Orient saint Martin est volontiers désigné comme le Miséricordieux. Ce sera aussi l’occasion de célébrer le 40e anniversaire de la Communauté Saint-Martin. Cette association de prêtres et de diacres séculiers vivant en communauté s’efforce de vivre l’idéal de saint Martin pour le service pastoral des diocèses.

Sens du Jubilé

La démarche jubilaire ne relève pas d’une nostalgie du passé ou d’une vaine curiosité historique, mais bien d’un intérêt spirituel et apostolique. La mémoire chrétienne veut éviter de céder à la tentation de reconstruire l’histoire. C’est pourquoi elle s’actualise sans cesse, et puise dans l’exemple de la vie des saints la conviction que tout disciple du Christ est, non seulement, appelé à suivre le chemin de la sainteté, mais capable de le vivre selon sa grâce propre.

Un homme

Faire mémoire de la naissance de saint Martin, c’est évoquer une destinée qui est celle d’un homme, d’un soldat intrépide qui a accepté de déposer les armes de l’Empire pour endosser les armes de la lumière : le glaive de la Parole s’est substitué au sabre militaire. Sulpice Sévère, son disciple et biographe écrit à son sujet : « Tout en lui, son caractère, ses propos et sa conduite, sa religion même sont d’un soldat. Avec une fermeté parfaite, il restait semblable à celui qu’il avait été auparavant. » Martin est un homme au caractère trempé qui assume avec courage et persévérance ses responsabilités. Sa formation militaire l’avait préparé à mener toutes sortes de combats spirituels : contre Satan, les cultes idolâtriques et contre toutes formes d’hérésies insidieuses. Une Lettre à Bassula rapporte cette prière : « C’est un lourd combat que nous menons, Seigneur… En voilà assez des batailles que j’ai livrées jusqu’à ce jour. Mais si tu m’enjoins de rester en faction devant ton camp pour continuer, je ne me dérobe pas… Tant que tu m’en donneras l’ordre, je servirai sous tes enseignes. Mon courage demeure victorieux des années et ne sait point céder à la vieillesse. » Je ne me dérobe pas ! Telle est la vérité et la virilité de Martin tout au long de sa vie terrestre, y compris au moment de mourir où dans une ultime prière il s’adresse à Dieu en ces terme : « Je ne refuse pas le travail. Que ta volonté soit faite ».

Un moine missionnaire saisi par l’amour du Christ

En évoquant la vie de saint Martin, nous nous approchons aussi d’un témoin du Christ qui fut attiré irrésistiblement par le feu qui habite son Cœur. Le secret de Martin se trouve précisément dans ce « Buisson ardent » qui illumine son existence sans la consumer, la marque au fer rouge, la conquiert et la conforme à celle de Jésus-Christ, vérité définitive de sa vie. C’est son rapport avec lui qui le garde et le préserve, le rendant étranger à la mondanité spirituelle ainsi qu’aux gloires humaines. C’est l’amitié avec son Seigneur qui le pousse à embrasser sa vie avec la confiance de celui qui croit que ce qui est impossible à l’homme ne l’est pas pour Dieu. Oui, Martin est un homme brûlé intérieurement par le feu de l’Esprit.

Cette vive flamme d’Amour l’animait intérieurement pendant ces temps de solitude à Ligugé ou à Marmoutier où il était habité par un immense désir de Dieu. « Les yeux et les mains toujours tendus vers le ciel, l’âme invincible, il priait sans relâche » (Lettre à Bassula). Cette vive flamme rayonnait de son ermitage pour éclairer les chrétiens et les païens auxquels il voulait annoncer l’Évangile du Christ : c’était comme un débordement de son cœur. Il évangélisait par contagion d’amour. Sa solitude avec Dieu, telle une terre fertile, ne l’isolait pas, mais engendrait en lui une profonde communion avec tous et une réelle compassion envers les pauvres. Cette vive flamme réchauffait les pauvres tant à Amiens qu’à Tours par sa tendre charité : « Il n’y avait que le Christ sur ses lèvres, que la bonté, la paix, la miséricorde en son cœur. Qui donc fut affligé sans qu’il fût affligé aussi ? Qui a péri qu’il n’en ait gémi ? ».

La charité eucharistique de Martin reste à ce sujet un très beau symbole. « Ce jour-là, raconte Sulpice Sévère, fut troublée la solitude du Bienheureux Martin ». Avant même son arrivée à la sacristie, Martin rencontre un pauvre. Il demande à son archidiacre de faire le nécessaire, mais « le pauvre en  question, voyant que l’archidiacre tardait à lui donner une tunique, fit irruption dans la sacristie ». Martin va donc donner son vêtement. En réalité, le trouble n’atteint guère le saint évêque. À la différence de l’archidiacre, c’est « sans nullement s’émouvoir » que Martin vit cet événement. C’est sans contorsion que sa recherche intérieure de Dieu se tourne vers la rencontre du Christ dans le pauvre. Ayant donné son propre vêtement, c’est en pauvre que Martin s’avance dans l’église pour offrir le sacrifice à Dieu. À la différence de la charité de la porte d’Amiens, Martin n’aide plus seulement le pauvre ; il le rejoint dans sa pauvreté. Il ne se contente pas de vêtir le Christ de son manteau, il l’imite et le suit dans le dépouillement de la Croix. Sulpice Sévère rapporte l’apparition d’un globe de feu jaillissant de la tête du saint « avec un rayonnement lumineux, comme une très longue chevelure de flammes », signe visible de sa grande charité pastorale.

Le manteau partagé d’Amiens le poursuivit tout au long de sa vie, devenant le manteau de foi et de charité dont l’évêque de Tours a recouvert son pays.


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Un apôtre visionnaire

Apôtre des campagnes gallo-romaines, saint Martin exhale un parfum toujours nouveau. À la fois moine, évêque et missionnaire itinérant, en permanente conquête dans une société en transition, Martin est animé d’un tel zèle qu’il va devenir un modèle pastoral. Dans une ère de grands changements, il est inventif. Tandis que l’Empire romain sombre, l’Occident qui naît est progressivement pris en charge par une Église qui, aujourd’hui encore, doit affronter une mutation socio-culturelle majeure.

L’inventivité pastorale de Martin repose sur un socle simple toujours pertinent : une vie évangélique des clercs qui animent une vie de village, et qui deviendra le modèle des paroisses actuelles. Martin a l’intuition que l’Évangile doit être à la croisée de tous les chemins. Rien ne lui est plus étranger que l’esprit de clocher. Il vit, comme l’Apôtre des Nations, un ministère itinérant au service de l’enracinement dans le Christ. Chacune de ses expéditions fait penser à un « raid apostolique ». Sa force d’action rapide, pour employer la terminologie militaire, c’est une troupe de moines avec qui il partage la vie contemplative et évangélisatrice. La force du témoignage en est certainement hier comme aujourd’hui la clef de voûte : “L’homme contemporain écoute plus volontiers les témoins que les maîtres ou s’il écoute les maîtres, c’est parce qu’ils sont des témoins” (Paul VI, Evangelii Nuntiandi, 41). Martin, devenu évêque, garde l’âme contemplative et missionnaire. Il est convaincu que tout ministre ordonné doit être un « spécialiste de la promotion de la rencontre de l’homme avec Dieu… expert dans la vie spirituelle [1]. Ce monachisme apostolique, substitut du martyr lorsque cessent les persécutions, rappelle aussi au chrétien qu’il a à attester son attachement à la Vérité par toute sa personne et le don de sa vie.

Il serait hasardeux et anachronique de qualifier canoniquement les communautés qu’installe Martin : chanoines réguliers ou séculiers, moines apostoliques ? En tout cas, leur vie en prieurés doit exprimer et offrir la saveur évangélique dans les paroisses qu’il crée. C’est toujours vrai et d’autant moins éthéré que la vie communautaire détruit les illusions. Se supporter les uns les autres par charité fraternelle est un éloquent témoignage. En s’appuyant sur un genre de vie, sinon monastique, en tout cas suffisamment réglé, prêtres et diacres, se conforment à l’Évangile d’abord dans leur maisonnée. Fondée sur l’envoi des disciples deux par deux, la vie commune fait vite tomber les utopies, émonde, oblige à la charité, et est un tremplin au service des paroisses. La fraternité des clercs existe en vue de l’édification du peuple saint. La famille paroissiale bénéficiera de l’exigeante quête commune de ceux qui la servent. Martin voit la paroisse et cette vie communautaire particulière, comme un lieu de vie centré sur le Christ, servi par ses frères. Il invite à la penser aujourd’hui, non comme une administration essoufflée à faire survivre, mais d’abord comme ce rassemblement familial édifiant et ouvert, fondé sur le Christ célébré ; voilà sa force !

Nos cités et villages ne recouvrant plus les mêmes réalités humaines que jadis, la mission appelle un redéploiement à partir de centres vraiment rayonnants, et un rapport renouvelé au temps et à l’espace. Un nouveau type de présence des communautés chrétiennes s’impose, libéré d’un quadrillage géographique obsolète. Un style de vie évangélique mieux offert à tous, reste la base privilégiée de l’évangélisation ; il provoque et accueille nos contemporains dans leur quête de sens.

Charité jusqu’au bout

Enfin, la flamme de l’Esprit qui habitait le cœur de saint Martin irradiait avec tendresse et fermeté ses frères de communauté. On le constate particulièrement à Candes-Saint-Martin, lorsque déjà très âgé, il ira réconcilier ses frères divisés, au prix de sa propre vie. Pour lui, la charité n’a pas de prix. Martin connait sa pauvreté. Il sait qu’il ne peut rien sans l’Esprit, qu’il n’est rien sans l’élan d’Amour du Père et du Fils. Il est très conscient qu’il reçoit tout de Dieu et que sa fécondité apostolique consiste à se laisser guider par l’Esprit, feu divin. Il sait que l’Amour est tout. Il ne cherche pas d’assurances terrestres ou de titres honorifiques, qui poussent à mettre sa confiance en l’homme ; dans sa vie « humble et pauvre », il ne demande pour lui-même rien qui aille au-delà de ses besoins réels, et n’est pas préoccupé de s’attacher les personnes qui lui sont confiées. Son style de vie, simple et essentiel, toujours disponible, le rend crédible aux yeux des gens et le rend proche des humbles, dans une charité pastorale qui rend libre et attentif aux autres.

Serviteur de la vie, il marche cordialement au pas des pauvres ; il s’enrichit de leur fréquentation. C’est un homme de paix et de réconciliation, un signe et un instrument de la miséricorde de Dieu, attentif à diffuser le bien avec passion et compassion. Cet homme de Dieu – comme l’appelle Sulpice Sévère – n’est-il pas d’une brûlante actualité ?

[1] Benoit XVI, Homélie à la cathédrale Saint-Jean de Varsovie, 25 mai 2006.

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