Une sélection des oeuvres les plus poignantes du répertoire jouées en l’honneur des défunts.
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Des profondeurs je crie vers toi Seigneur….
De profundis… sont les premiers mots latins du psaume 130 extrait du Livre des Psaumes de la Bible, classé 129 dans la Vulgate. Dans la tradition de l’Église catholique romaine, ce psaume fait partie des prières pour les morts et il est récité lors des enterrements. Très souvent mis en musique, nous vous proposons de découvrir deux grands motets magistraux : le De profundis de Michel-Richard Delalande et celui d’ Henry Desmarets, deux compositeurs français à la cour de Louis XIV.
De profundis clamavi ad te, Domine ;
Domine, exaudi vocem meam.
Fiant aures tuae intendentes
in vocem deprecationis meae.
Si iniquitates observaveris, Domine,
Domine, quis sustinebit?
Quia apud te propitiatio est,
ut timeamus te.
Sustinui te, Domine,
sustinuit anima mea in verbo eius ;
speravit anima mea in Domino
Magis quam custodes auroram.
Magis quam custodes auroram
Speret Israel in Domino,
quia apud Dominum misericordia,
et copiosa apud eum redemptio.
Et ipse redimet Israel
ex omnibus iniquitatibus eius.
Michel-Richard DELALANDE – De profundis
https://www.youtube.com/watch?v=B0-AssEdEAM
Delalande, le grand maître du motet français
Compositeur à la cour de Louis XIV et très apprécié par le roi, Delalande incarne le baroque musical français et peut-être désigné, sans hésitation, comme le maître du grand motet français. Composé en 1689, ce De profundis est son motet le plus connu. Il est célèbre pour la grandeur homophonique de son début mystique et pour le contrepoint intense et audacieux de son Requiem aeternam conclusif, sans précédent dans la musique française.
Selon Lionel Sawkins, la première version connue du De profundis de Delalande a pu être composée pour les funérailles de la reine Marie-Louise d’Espagne, fille du frère de Louis XIV, Philippe, duc d’Orléans, et d’Henriette d’Angleterre. Cette œuvre fait partie des chefs-d’œuvre du répertoire français à la fois majestueux, grave et poignant. Huit solistes sont nécessaires, un chœur à cinq voix et un orchestre à cinq parties à la française.
Une œuvre méditative
L’œuvre commence par une introduction grave et méditative jouée par les cordes. Puis le soliste expose de façon poignante le premier verset du psaume repris ensuite par le chœur : “De profundis clama vi ad te…” : “Des profondeurs je crie vers toi…”. Suit l’enchaînement des différents versets, puis le psaume se termine dans un puissant déploiement du chœur, d’une grande complexité contrapuntique où les différentes voix solos s’entrelacent avec beaucoup d’harmonie.
À la fin de ce chœur débute le fameux “Requiem aeternam” : “Donne leur le repos éternel”. Les cordes jouent une grave et magnifique introduction reprenant les premières mesures du motet, mais sous des couleurs beaucoup plus sombres. Puis le chœur fait doucement son entrée, prend d’avantage d’ampleur et d’intensité. Un pur moment où l’âme s’envole…
Enfin, le motet se termine par une fugue brève, rapide et joyeuse du chœur sur les mots, “Et lux perpetua luceat eis” : “Et que la lumière éternelle les illumine”.
Henry DESMARETS – De profundis
Parmi la pléiade de maîtres éminents à la cour de Versailles, Henry Desmarest est le moins cité de ces musiciens et il était pourtant l’un des plus doués.
Condamné à mort
Son histoire ne nous laisse pas indifférents. Promis à une brillante carrière au service de Louis XIV, son destin fut bouleversé par un fait divers le contraignant à l’exil pendant plus de 20 ans : le rapt amoureux de Marguerite de Saint-Gobert, une jeune fille de 19 ans dont le père n’était autre que le médecin de Gaston d’Orléans. Le père opposé au mariage, intenta des actions judiciaires contre le compositeur ce qui lui valut une condamnation à mort. Exilé à Bruxelles puis en Espagne, Desmarets souhaita revenir en France. En 1712, il adressa une pétition à Louis XIV afin d’être gracié ; elle fut rejetée. Ce n’est qu’en 1722 que le Régent permettra à Desmarest de revenir en France où il finit ses jours à la cour de Lorraine.
Compositeur pour Louis XIV malgré lui
Mais ce n’est pas le seul épisode étonnant de la vie de Desmarets ! Les compositeurs sélectionnés à Versailles, au moyen d’un concours royal, devaient fournir la musique pour toutes les occasions religieuses. Cependant, le jeune et talentueux Desmarets n’avait pas été retenu lors du concours de 1683. Étonnamment, sa musique était pourtant bien présente à la chapelle du roi. Comment était-ce possible ? Un des gagnants de ce concours, l’abbé Goupillet, médiocre et visiblement dépassé par sa charge, demanda à Desmarets de composer secrètement des grands motets à sa place, moyennant rétribution. Goupillet ayant l’imprudence de ne plus rémunérer Desmarets, ce dernier éventa la supercherie. Louis XIV renvoya l’abbé mais Desmarets ne fut pas pour autant récompensé et n’obtint jamais le poste tant rêvé, qui revint, finalement, à Delalande.
Exilé mais pas oublié
Nul doute, en écoutant le De Profundis présenté aujourd’hui, que Louis XIV ne resta pas insensible à sa musique. L’ouverture grandiose, profonde, tintée d’une grande sensibilité, révèle la maîtrise de Desmarets pour le contrepoint. Un contrepoint savant et savoureux. Comme dans l’œuvre de Delalande, cette ouverture débute par l’exposition du 1er verset par un soliste tandis que le chœur finit par entrer de manière majestueuse pour accentuer l’effet tragique.
Son goût pour le pathétique exacerbé se retrouve explicitement dans le 3e verset du psaume, “Si iniquitates observaveris, Domine, Domine, quis sustinebit ?” : “Si tu gardais le souvenir de nos fautes, Éternel, Seigneur, qui pourrait subsister ?”. Les voix s’entremêlent dans une longue plainte et forment des harmonies poignantes. Le génie de Desmarets se révèle dans cette capacité à nous émouvoir et à creuser au plus profond de nous-même.
Tous les hommes doivent mourir…
L’écoute de ces deux motets peut nous laisser dans une profonde mélancolie face à l’idée de la mort. Mais celle-ci n’est pas une fin en soi.
Pour achever ces découvertes musicales, allons du côté de la musique allemande. Comment ne pas terminer en évoquant celui qui a passé sa vie à proclamer la gloire de Dieu ? “Tous les hommes doivent mourir”, oui, comme nous le rappelle l’un des célèbres chorales luthériens mis en musique par Jean-Sébastien Bach : “Alle Menschen müssen sterben” (BWV 643).
Alors que l’on s’attend à découvrir une œuvre musicale d’une extrême gravité, c’est tout l’inverse qui se produit. Nous voilà emportés par des sonorités légères, aériennes, presque joyeuses. Cette découverte surprenante laisse vite place à un sentiment d’évidence. Une évidence qui nous apaise et nous laisse serein : ce n’est pas la fin de notre vie terrestre qui est ici fêtée mais la joie de la rencontre avec Dieu promise à tous les hommes. En effet, comment pourrait-on célébrer cette promesse autrement que par des notes joyeuses ?