Destins de Camille Claudel, Séraphine de Senlis et Aloïse Corbaz.
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Alain Vircondelet est l’auteur de plusieurs biographies, dont la remarquée Enfance de Jean-Paul II. Dans L’Art jusqu’à la folie, il met en parallèle la vie et le destin de Camille Claudel, Séraphine de Senlis et Aloïse Corbaz. Un même génie créateur relie ces trois femmes, mères d’oeuvres magistrales – on pense notamment à La Valse et à l’Age mûr de Camille Claudel – mais dont l’intensité les conduira chacune à la solitude de l’asile.
Camille Claudel : le basculement vers la paranoïa
Le livre brosse le portrait de Camille Claudel, tout d’abord, indissociable de son frère Paul, dont le génie mystique a choisi de s’incarner au théâtre. On suit l’ascension de Camille et l’épanouissement de son art au côté de son maître et amant Rodin, fasciné par le talent de cette jeune femme farouche. Peu à peu, la précarité, l’ombre du maître et l’isolement feront basculer l’artiste dans une paranoïa dont plus rien ne pourra la tirer. C’est finalement en 1913 que Camille Claudel entre à Ville-Evrard. Elle n’en ressortira jamais, et passera le reste de sa vie recluse, abandonnée de tous y compris de Paul, dont les visites se feront de plus en plus rares jusqu’à sa mort en 1943, après trente années d’internement.
Séraphine de Senlis : vers la dépression
Après la sculptrice, la peintre. Séraphine de Senlis est restée longtemps mal connue du grand public jusqu’à l’exposition de ses oeuvres en 2008 au musée Maillol qui a mis en lumière son talent. Peintre autodidacte aux tableaux chatoyants imprégnés de mysticisme – tel l’Arbre de Vie – Séraphine tire son inspiration de la nature où elle a appris à s’évader. Son enfance est celle d’une laissée-pour compte dans la plus stricte acceptation du terme, privée de sa mère puis de son père, recueillie dans un orphelinat obscur dont elle ne parlera guère, comme pour effacer toute trace. De cette enfance d’infortune, elle conservera une dévotion pour la Vierge et une grande reconnaissance à l’égard des soeurs qui se sont, un temp,s occupées d’elle.
C’est à partir de ses souvenirs pastoraux et bucoliques qu’elle peint, longtemps anonyme, jusqu’à la reconnaissance tardive, grâce à un collectionneur allemand qui découvre son talent et la soutient. Mais la grande dépression fait perdre à Séraphine son mécène, son équilibre mental et conduira à son internement jusqu’à sa mort, en 1942, pratiquement en même temps et dans les mêmes conditions que Camille Claudel : sous l’Occupation, à défaut des camions asphyxiants que les nazis ont utilisé en Allemagne pour assassiner les handicapés mentaux, on les laisse mourir de faim.
Aloïse Corbaz : quand l’art émerge à l’hôpital psychiatrique
Le destin d’Aloïse Corbaz est un peu différent, puisque c’est à l’hôpital psychiatrique que son art s’épanouira véritablement. Cet art brut, aux crayons de couleur ou à la craie, surprend par la gaieté de ses couleurs. Aloïse ne fut jamais malheureuse durant les quarante-six ans de son enfermement. Grâce au matériel que lui fournit le personnel médical, elle met son talent au service de l’univers foisonnant qui l’habite et laisse ainsi derrière elle près de trois cent oeuvres, dont beaucoup mettent en scène des passages des Évangiles.
À travers cette remarquable biographie, Alain Vircondelet rend hommage à trois grandes artistes françaises, que les démons intérieurs, autant que les préjugés de l’époque, ont dépossédé de leur art. Si cet enfermement est vécu comme un martyr par Camille, une croix par Séraphine, on ne peut être que frappé par le destin d’Aloïse, puisque c’est au fond de l’asile, dans la réclusion et l’abandon qu’elle sera touchée par la grâce créatrice.
Quelle plus belle métaphore de l’existence humaine que celle de l’artiste transcendant sa condition à travers l’art comme moyen d’atteindre le divin ?
L’Art jusqu’à la folie, Alain Vircondelet, Éditions du Rocher, 215 pages, octobre 2016, 18,90 euros.