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Décès de Phyllis Schlafly, icône américaine et bête noire des libertaires

© Brendan Smialowski/Getty

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Jean Duchesne - publié le 04/10/16
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Haïe des féministes, la militante est décédée à l’âge de 92 ans.

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On a peu parlé en France de la mort de Phyllis Schlafly : une personnalité sans équivalent chez nous. Elle s’est rendue célèbre aux États-Unis dès 1964 en démolissant la candidature à la présidence de Nelson Rockefeller, fils et petit-fils des célèbres magnats du pétrole, gouverneur de l’état de New York et plus tard vice-président de Gerald Ford. Elle voyait en lui l’incarnation du libéralisme non seulement économique et politique, mais encore moral. Elle a ainsi propulsé le très conservateur Barry Goldwater vers la nomination du parti républicain, ce qui ne l’a pas empêché d’être battu à plate couture par le démocrate Lyndon Johnson, vice-président et successeur de John Kennedy, qui n’était pas moins libéral que Nelson Rockefeller. Mais cet échec n’en a pas moins préparé le virage à droite après Richard Nixon du parti républicain et la victoire de Ronald Reagan en 1980.

Contre le communisme et l’indifférenciation sexuelle

Ce qui est remarquable est la façon dont s’y est prise cette mère de famille du Missouri (dans le Midwest, l’Amérique “profonde”) : elle a écrit un petit pamphlet de 120 pages, l’a édité à ses frais et a réussi à en vendre (pas cher : 75 cents) trois millions d’exemplaires. Et elle ne s’est plus arrêtée. Elle a poursuivi en s’en prenant aux grands patrons entrés en politique (sa cible préférée étant Robert McNamara, secrétaire à la Défense de Lyndon Johnson), qu’elle trouvait trop mous face au communisme. L’escalade de la guerre au Vietnam, disait-elle, avait été bien trop lente et progressive. Il aurait fallu frapper fort d’entrée et après c’était trop tard. Les négociations sur la limitation des arsenaux nucléaires ne servaient à rien, parce que les Soviétiques trichaient toujours. Il fallait au contraire les intimider en gardant sur eux un avantage technologique et les forcer à se ruiner pour se mettre à niveau (c’est ce que Ronald Reagan a fait avec sa “guerre des étoiles”).

Au début des années 70, les libéraux des deux grands partis avaient fait adopter par le parlement américain un amendement de la constitution garantissant l’égalité entre les sexes (ERA : Equal Rights Amendment). Il ne restait plus qu’à le faire ratifier par au moins trois quarts des états, soit 38. On en était déjà à plus de 30. Mais pour Phyllis Schlafly, c’était inacceptable : cela revenait à rendre les sexes interchangeables et indifférents, à priver les femmes des égards dus à la maternité et finalement à permettre le mariage gay (qu’elle a été une des premières à voir venir). Elle a donc monté une coalition inattendue de protestants traditionnalistes, de juifs orthodoxes, de catholiques et de mormons, qui se retrouvaient aussi avec elle pour protester contre la légalisation de l’avortement (le fameux arrêt Roe v. Wade de 1973). Elle a réussi à mobiliser des hordes de ménagères qui assiégeaient les parlements dans les états qui devaient encore ratifier l’amendement. Et elle est devenue, grâce sa pugnacité glaciale, une vedette des débats publics et médiatisés. En 1979, à l’expiration du délai pour les ratifications, 35 états seulement avaient approuvé l’ERA, qui n’a donc pas été adopté.

Le féminisme, “escroquerie du siècle” ?

Entretemps, Phyllis Schlafly avait croisé le fer à maintes reprises avec les féministes, parvenant souvent à les faire paraître hystériques. La mieux connue, Betty Friedan, se laissa aller devant elle sur un plateau de télévision à regretter de ne pouvoir l’envoyer au bûcher comme sorcière maléfique. Pour la dame du Midwest, l’idée que les femmes américaines étaient opprimées était “l’escroquerie du siècle”. S’il y avait si peu de femmes en politique, à la tête des grandes entreprises ou sur les chaires des grandes universités, c’était parce qu’elles avaient mieux à faire (dans le contexte de l’époque) : avoir des enfants et les élever, et désormais les appareils électro-ménagers leur facilitaient la tâche. Il est à relever qu’elle n’invoquait pas des “valeurs” et centrait son discours sur la spécificité féminine plutôt que sur la famille.

Il était difficile de l’attaquer personnellement : ses parents avaient souffert pendant la Grande Dépression, elle avait travaillé en usine pour payer ses études et, après s’être occupée de ses six enfants, elle avait été jusqu’à un doctorat en droit constitutionnel tout en menant la campagne contre l’ERA. Elle avait épousé un avocat de bonne famille, mais qui n’était pas millionnaire. Elle publiait des livres (26 en tout) et des tribunes régulières dans la presse. Elle a également animé des émissions de radio. Mais elle n’est jamais entrée en politique, n’a pas cherché à se faire élire et a refusé tous les postes qu’on lui offrait dans les ministères, à la Maison Blanche ou dans les think tanks richement dotés. Elle riait la première de ses caricatures par des humoristes gauchisants, mais persistait à s’abstenir de porter des pantalons et à avoir toujours l’air de sortir de chez le coiffeur.

Une catholique pas toujours docile

Il faut dire qu’elle était sereinement et solidement catholique. Elle osait donner la Vierge Marie comme modèle de féminité et présenter le preux chevalier médiéval comme l’idéal du mâle au service des femmes et des enfants. Elle a également recommandé l’enseignement de Jean-Paul II sur la femme. Mais la spiritualité n’était pas son fort. Elle ne prêchait pas et s’entendait fort bien avec les représentants d’autres dénominations chrétiennes et d’autres religions qui partageaient ses convictions morales et patriotiques. Elle s’est opposée à l’épiscopat américain  quand celui-ci a contesté l’éthique de la dissuasion nucléaire dans les années 1980, et plus récemment pour avoir pris la défense des immigrés et, selon elle, encouragé la paresse en réclamant le maintien et même l’accroissement des aides sociales.

Elle a fait feu de tout bois contre l’internationalisme : celui des Nations-Unies qui imposent, au mépris de la démocratie, aux nations souveraines des mesures libérales comme la limitation des naissances ; celui du big business néocolonialiste qui profite cyniquement de la mondialisation pour délocaliser les emplois dans les pays pauvres ; et celui des interventions militaires américaines dans des pays lointains.

Elle s’est encore battue contre la pornographie, l’octroi de fonds publics au planning familial et les juges laxistes qui justifient la permissivité sous le prétexte que la jurisprudence n’énonce pas les évidences morales sur lesquelles elle repose. Enfin, elle a puissamment contribué à introduire la cause pro-life (anti-avortement) dans le programme du parti républicain.

Dans les années 1990 et 2000, elle a été dépassée par le néo-conservatisme, puis par le populisme conservateur et sans leader du Tea Party. Elle était sans doute trop âgée pour ferrailler efficacement contre la théorie du genre et n’a pas perçu les enjeux de la mobilisation contre les dérèglements climatiques. Elle n’a pas su non plus exploiter vraiment les ressources d’internet. Dès le début des primaires républicaines en 2015, elle a soutenu la candidature de Donald Trump, ce qui a causé l’éclatement de l’Eagle Forum, l’organisation qu’elle avait créée en 1972. Elle n’a pas de successeur et laisse désormais un vide.

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