L’Assemblée décide d’aborder enfin un problème qui terrifie parents et professeurs depuis maintenant quelques années.
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“J’ai un compliment et un reproche à vous faire”, commence le professeur Israël Nisand, gynécologue obstétricien et professeur des universités, à l’adresse du député Jean-Frédéric Poisson. “Le compliment : merci d’organiser cette première rencontre à l’Assemblée nationale sur le thème de la protection de l’enfance contre la pornographie. Le reproche : pourquoi si tard ?”
Le professeur résumait ainsi le soulagement palpable de la salle comme des intervenants : enfin un parlementaire qui accepte de se saisir de ce problème qui terrifie parents et professeurs depuis maintenant quelques années. Réunir autant d’acteurs si différents autour d’une table n’était pas chose facile ! Les convictions de ce député très engagé ne sont un secret pour personne, mais les intervenants ont passé outre les différences, parfois majeures, pour se concentrer sur un sujet qu’ils estiment urgent. La politique comme on l’aime…
Ce vendredi, à l’Assemblée, il y avait donc autour de la table la philosophe et sexologue Thérèse Hargot qui avait jeté un véritable pavé dans la marre en remettant en cause la libération sexuelle dans un ouvrage plébiscité à l’hiver dernier : IVG, homosexualité, contraception… aucun sujet sensible n’avait échappé à sa plume. Israël Nisand, également. Gynécologue qui avait reconnu en mars dernier avoir aidé des homosexuels à avoir des enfants en infraction avec la loi. Grégory Dorcel ensuite, DG d’une industrie de production de films pornographiques dont le chiffre d’affaires dépasse 18 millions d’euros et enfin Marc Vannesson, qui représentait Vers le Haut, un think tank dédié aux jeunes, aux familles et à l’éducation. Peu de point commun à première vue, et pourtant, le même constat : les conséquences d’un accès prématuré (voire un accès tout court pour certains intervenants) à la pornographie sont dramatiques.
Israël Nisand parle crûment. Un collège tout à fait fréquentable l’a récemment sollicité pour intervenir après des fellations collectives organisées dans les toilettes… Première question d’un élève : “Comment se fait-il que les femmes aiment sucer les sexes des animaux ?” Il poursuit : “J’ai entendu parlé de zoophilie dans 100% des collèges dans lesquels je suis intervenu”. De l’autre côté du bureau, Thérèse Hargot approuve et la salle conserve un silence gêné.
Pour la reconnaissance d’un “droit à l’enfance”
Tous s’entendent sur un point : les enfants sont incapables de prendre la moindre distance par rapport à ce qu’ils voient. Pour eux, les images sont le réel, et ces images détruisent la confiance, l’affectivité, le regard et les aspirations de ces enfants. “On regarde pour savoir ce qu’aiment les meufs”, est une réponse communément entendue dans ces écoles. Les “meufs”, de leur côté, acceptent de faire des choses qu’elles viennent raconter en pleurant le lendemain. Le culte de la performance, la dégradation de la femme, mais également l’enfance volée, tout est évoqué. Marc Vannesson appelle au respect du “droit à l’enfance”, Jean-Frédéric Poisson reprend l’expression à son compte : “Les enfants ne sont pas des adultes miniatures”, insiste-t-il. Applaudissements dans la salle.
Thérèse Hargot transcende le sujet par une réflexion beaucoup plus large : “Nous avons voulu nous affranchir de l’autorité religieuse, désacraliser la sexualité, et nous en avons fait un objet de consommation, créant ainsi un nid à l’industrie pornographique. Aujourd’hui, cette dernière est vecteur de normes de jouissance, de réussite, d’efficacité, qui sont terriblement angoissantes pour des enfants qui ne peuvent les atteindre. Alors posons-nous la question : la société que nous voulons est-elle celle de la marchandisation de la sexualité ?” Sa réponse est évidemment non, celle de la salle aussi apparemment.
“La pornographie a dégradé l’image de la femme, mais également celle de l’homme”, insiste-t-elle, illustrant son propos par la dernière publicité du site internet adopteunmec.com, qui met en scène deux jeunes femmes qui jettent un homme dans un caddie. Elle cherche des causes profondes : les jeunes garçons qu’elle rencontre sont “adorables” et consomment pourtant du porno “trash”. Elle interroge donc : “N’est-ce pas une manière de se défouler ? Quelle place laissons-nous à la virilité pour s’exprimer aujourd’hui ?” Même question pour la féminité : “Les femmes reprennent à leur compte des insultes, elles se nomment elles-mêmes putes ou salopes, ou prennent “connasse” comme nom de scène !” La question reste ouverte, mais le constat est sans appel : en transformant la sexualité en produit de consommation, ce sont l’homme et la femme que nous avons changés.
L’urgence éducative partagée par tous
Mais le sujet discuté ce vendredi matin était la protection des enfants, concrètement : que faire, comment faire ? Difficile d’y répondre.
Israël Nisand plaisante : “Je suis de gauche alors je peux le dire, ce n’est pas sous ce gouvernement que les choses changeront”, et poursuit sa dénonciation : “Il y a même des bobos pour trouver encore que la pornographie est le meilleur moyen pour apprendre la sexualité, or nous savons – par des études – que la consommation de ces images n’est pas sans conséquence”. Il développe : “Des études montrent un coefficient de corrélation entre l’âge de la première vue d’une image pornographique, la quantité de consommation de ces images et le rapport à la sodomie dans les premiers rapports sexuels”. Pire encore : “Lors d’une étude, une personne sur cent déclarait avoir un appétit pédophile. Après trois heures de visionnage d’images pédo-pornographiques, on était passé à 12%”. Là encore, le constat est clair : “La pornographie a une influence indéniable sur les pratiques sexuelles des enfants mais également sur celle des adultes”.
Tous veulent commencer par le début : l’application de la loi qui existe déjà ! Elle prévoit en effet la condamnation de ceux qui exposent des images susceptibles d’être vues par des mineurs. Une loi non suivie d’effets. Elle prévoit également trois interventions par an, à l’école, d’un conseiller en vie affective et sexuelle. Peu respectée sur le terrain. Sur les termes, les intervenants ne sont pas tous d’accord : Marc Vannesson semble regretter que l’Éducation nationale prévoit en réalité des cours de sexualité, ce qui n’est évidemment pas la même chose que des conseils en vie affective et sexuelle. Mais tous sont d’accord : arrive un âge ou ces questions doivent être abordées par un tiers, les parents n’étant pas forcément les meilleurs confidents. Même s’ils doivent s’investir aussi ! Sur ce point, Israël Nisand insiste : « Si les parents n’ont pas construits les murs, nous ne pouvons mettre le toit ! Certains enfants n’ont jamais appris à respecter leur corps et là, c’est quasiment foutu”. Il ne s’agit donc pas d’évincer les parents, mais de les aider.
Un problème majeur, une réponse politique inexistante
Sur l’omerta politique, Israël Nisand a sa petite idée : “Le business ! On parle là d’une industrie qui brasse des milliards de dollars. Sans compter l’idéologie qui continue à penser qu’il est interdit d’interdire…” Malin, il insiste pourtant : “Les députés répondent systématiquement qu’ils ne peuvent rien faire, mais tous les parents sont d’accord avec nous, ça doit donc devenir un argument électoral !” La salle sourit, mais l’idée ne semble pas être tombée dans l’oreille d’un sourd.
Très concrètement, il propose également que le numéro de carte bleue soit réclamé à la première image pornographique consommée sur internet, afin de contrôler l’âge. Grégory Dorcel intervient : “C’est ce que prévoit justement la loi, mais personne ne l’applique !”. Israël Nisand poursuit : “Il y a cinq fournisseurs d’accès en France, il suffit de leur dire : première infraction, 10 millions d’euros, deuxième 100 millions d’euros. Ils arrêteront tout de suite, ça remplira les caisses de l’État et les parents voteront pour vous”, lance-t-il à Jean-Frédéric Poisson apparemment convaincu. Grégory Dorcel acquiesce largement : c’est une règle qu’il respecte et voit évidemment d’un très mauvais œil le développement de la pornographie sauvage sur internet notamment.
Le gynécologue termine en reprenant une angoisse de Thérèse Hargot : “Que vont devenir les rapports hommes-femmes dans cette génération biberonnée à la pornographie ?” La réponse semble inquiéter l’ensemble des intervenants. C’est pour cela qu’il insiste : “Harcelez vos hommes politiques, réclamez-leur sans cesse ce qu’ils comptent faire !” Sur cette discrétion politique, Thérèse Hargot a également son mot à dire : “Ils ne s’engagent pas parce que ça remettrait en cause tout ce qu’ils ont établit pendant des années ! Ils ont déconnecté la personne de son corps, et voilà le résultat”. Elle insiste, suivie par Marc Vannesson : “La réponse doit être globale, la question de l’éducation sexuelle ne doit pas être réduite à des questions de santé et d’hygiène. Il faut apprendre aux enfants à respecter leurs corps, à découvrir leur identité, à découvrir ce qu’ils sont finalement”.
Marc Vannesson renchérit : “En 2004, une étude a été menée sur 1000 jeunes, la consommation de pornographie est souvent liée à de l’absentéisme scolaire, une forte consommation d’alcool, et parfois même au suicide. Cela ne veut pas dire que la pornographie est responsable de cela, mais que le malaise est global. La réponse doit l’être aussi”. Il poursuit, donnant raison à Thérèse Hargot : “La sexualité est toujours abordée comme une question de santé publique, et trois thèmes sont abordés en priorité. Au primaire : reproduction, changement du corps, égalité homme-femme. Au collège : respect, IVG/contraception, sida. Au lycée : IVG/contraception, sida, respect. Mais n’importe quel professionnel vous dira qu’un tel discours de peur et de protection, alors que l’on parle de liberté, ne peut faire prendre aucune décision ajustée”.
Des enfants fragilisés par des familles détruites
En se basant sur des études très précises, Marc Vannesson réclame plusieurs choses : une réflexion sur l’accès aux écrans des plus jeunes, une éducation affective et sexuelle adaptée à chaque enfant avec implication de la famille. Mais là encore, un bémol : la famille est parfois la source du malaise. “Une étude américaine révèle très clairement que dans les familles divorcées, plus le père a quitté tôt la maison, plus les filles ont une sexualité et parfois même une grossesse précoces”. Il cite alors une autre étude peu réjouissante de l’OMS conduite dans 40 pays : la France est systématiquement dernière lors que l’on demande aux jeunes s’il est “facile de parler avec son père ou sa mère”. Dans cette étude, une fille française sur quatre répond que le contexte familial n’est pas propice pour aborder les sujets importants. La déconstruction de la famille n’a pas fini de faire parler d’elle…
Interpellé par la salle sur son activité professionnelle, Grégory Dorcel se justifie : “75% des adultes français consomment aujourd’hui du porno, je réponds à une attente mais j’ai choisi de respecter les règles de mon pays et de protéger les mineurs”. Il confie même financer “discrètement” des associations de protection de l’enfance. Pourquoi discrètement ? “Parce qu’il serait malvenu que nous apparaissions dans des projets éducatifs !” répond-il immédiatement, et comment lui donner tort. La salle et l’intervenant ne réussiront pas à se mettre d’accord sur le rapport des adultes à la pornographie mais le sujet du jour n’était pas celui-ci.
C’est donc Jean-Frédéric Poisson, organisateur du colloque, qui conclut : “Je vais réfléchir à créer les journées parlementaires de la protection des mineurs contre la pornographie”, promettant par ailleurs d’user de “tous ses pouvoirs parlementaires pour questionner le gouvernement sur ce qu’il compte faire, concrètement, pour faire appliquer la loi”.
“À l’année prochaine”, lance-t-il en guise de fin, avant que la salle ne réponde : “Avant, même !”.