Pour cette rentrée littéraire, Solange Bied-Charreton nous offre un roman au ton acerbe mais qui fait mouche.
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Tout commence par la mort de Raoul Estienne, comme un symbole. Riche industriel ayant fait fortune dans le commerce de brosses à dents, il lègue à son fils Jean-Michel la maison familiale : la Banéra. Depuis plusieurs années, c’était cette maison qui unissait Jean-Michel et ses trois enfants que tout semblait pourtant opposer. Hortense, la première fille, a fait fortune et dirige d’une main de maître une start-up, Clean & Co. Croissance, nouveaux marchés, santé économique sont ses maîtres mots. Alexandre, le plus jeune, est un jeune ingénieur désabusé. Il se jette à corps perdu dans le combat de la Manif pour tous, après s’être rapproché de l’Église. Avec ses camarades de manif’, il refait le monde et rêve de renverser le pouvoir. Dandysme et élucubrations de petits bourgeois. Entre eux, Lucile, graphiste dans une tour post-moderne de la Défense. En retrait, sans avis tranché sur des réalités qui la dépassent, elle incarne le mal-être d’une époque en manque de repères, soumise à la dictature de l’efficacité économique.
La vente de la maison familiale : un révélateur
Ne souhaitant pas s’occuper de la Banéra, Jean-Michel décide de la vendre. Une décision qui agit comme un révélateur pour les trois enfants, plus attachés qu’ils ne le croyaient à cette vieille maison qui conserve les souvenirs de leur jeunesse.
S’ensuit le divorce d’Hortense, qui préfère s’installer avec son associé, comme elle ancien de l’ESSEC. S’ensuit la mélancolie sentimentale de Lucile qui découvre l’instabilité masculine à l’heure ou l’engagement effraie. S’ensuit l’enfermement idéologique d’Alexandre qui apprend des phrases de Philippe Murray pour se donner un style alors qu’il n’y comprend rien. Une déflagration, comme si le lien, le dernier repère, avait disparu.
Une fresque acerbe de la bourgeoisie contemporaine
Si le roman de Solange Bied-Charreton fait mouche, c’est qu’il pénètre subtilement ce monde de la bourgeoisie contemporaine qu’il place face à ses contradictions. Hortense, Lucile et Alexandre sont chacun à leur manière les portraits-types de ces jeunes déboussolés et sans idéal. Le même Alexandre, qui pense être à la pointe du combat pour les valeurs et le redressement de la civilisation en s’engageant contre le mariage pour tous, s’aperçoit bien vite que lui et ses camarades ressemblent en tout points aux petits bourgeois qu’il croit détester. En témoigne cette scène drôle et terrible où, reprenant des forces autour d’une bière en fin de manifestation, lui et ses amis embrassent des jeunes filles qu’ils viennent de rencontrer. Non aux dérives sociétales, mais entre nous tout est permis, puisqu’on pense la même chose. Et qu’on pense bien.
La critique est acerbe, et la plume est sûre. Solange Bied-Charreton parvient à réaliser une fresque sociale touchante d’une bourgeoisie à la dérive. Elle oppose avec justesse le “peuple de l’immédiat”, celui qui sacrifie tout sur l’hôtel du bien-être, de la carrière et des conventions sociales, celui qui ne se projette pas, qui ne croit à rien de plus qu’aux affaires et à l’efficacité, à celui qui cherche ses racines, son histoire, sa tradition.
Comme le dit l’auteur, pour savoir dans quel camp vous êtes, demandez-vous d’abord ce que vous savez de votre arrière grand-père… Car retrouver un héritage, qui parfois n’est qu’une maison, est une condition nécessaire pour se retrouver soi-même.
Les visages pâles de Solange Bied-Charreton. Éditions Stock, 2016. 386 pages, 20,50 euros.