Ali Dolamari, Kurde irakien, commente l’intervention turque en Syrie d’un point de vue décapant : les Turcs ne sont pas les seuls ennemis des Kurdes…
Pour qu’Aleteia poursuive sa mission, faites un don déductible à 66% de votre impôt sur le revenu. Ainsi l’avenir d’Aleteia deviendra aussi la vôtre.
*don déductible de l’impôt sur le revenu
L’incursion de l’armée turque sur le territoire syrien de mercredi 24 août sert officiellement à renforcer la lutte contre les djihadistes de l’État islamique. Mais personne n’y croit : ni les Turcs, ni les Américains, ni – encore moins – les Kurdes !
Les ambitions du “sultan” Erdogan
Depuis le début du conflit syrien, le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdoğan réclame la mise en place d’une “zone de sécurité”, au sud de la frontière turco-syrienne, dans laquelle il pourrait déployer son armée. La diplomatie turque la présente comme une mesure de prudence, mais côté kurde, on y voit plutôt un moyen pour la Turquie d’empêcher les Kurdes de se renforcer dans la région. Ils savent que la question des Kurdes, qui représentent 16% de la population de la Turquie, est une obsession de l’administration turque. La nature de l’intervention turque, du 24 août, confirme leur crainte.
Une attaque dirigée contre les ambitions kurdes
Les Turcs n’ont pas attaqué au hasard : ils se sont emparés de la ville de Djarabulus, qui était en passe d’être conquise par l’YPG. Ils empêchent de la sorte les combattants kurdes de disposer d’un territoire cohérent. Selon Asya Abdullah la coprésidente du PYD (Parti de l’union démocratique), dont l’YPG est le bras armé, rien n’exclut que dans les prochains jours, l’armée turque et les combattants kurdes entrent en conflit, en particulier si l’armée turque tente, comme elle le craint, de s’emparer de la ville de Manjib, après la prise de Djarabulus.
Les Kurdes victimes de leurs divisions
Ali Dolamari, vice-représentant du gouvernement régional du Kurdistan irakien en France, analyse de son côté, que les Kurdes de Syrie sont autant victimes de la vindicte turque, que de leurs propres divisions internes. Il accuse en particulier le PYD d’utiliser la puissance militaire de sa branche armée, l’YPG pour tenter de prendre le contrôle du Kurdistan Syrien. Or l’YPG est liée au parti des travailleurs Kurdes, le PKK, l’ennemi juré de l’État turc ! La Turquie ne se serait pas opposée à un gouvernement kurde démocratiquement élu à sa frontière, selon Ali Dolamari. En revanche, elle ne peut pas admettre que son ennemi prioritaire, le PKK, dispose d’un État ami à sa frontière, prêt à le soutenir dans toutes les opérations que peut mener ce parti contre la Turquie. En Turquie, assure-t-il, le PKK refuse toute forme de négociations et favorise l’affrontement avec le gouvernement.
L’exemple du Kurdistan syrien
Les Kurdes sont une petite composante de l’échiquier syrien, détaille Ali Dolamari, qui regrette qu’ils soient rendus excessivement vulnérables par leur manque d’unité. Le paradoxe, c’est que la majorité de ses compatriotes rêve d’un vaste Kurdistan, qui puisse réunir les 40 millions de Kurdes, mais qu’ils ont de grandes difficultés à se rassembler. La thèse d’Ali Dolamari, intitulé “Le Kurdistan irakien, de la Tribu à la démocratie”, met en évidence les résistances à la constitution d’une nation kurde, en Irak, à cause de l’existence des tribus.
Au Kurdistan irakien, tant que la tribu primait sur l’État, les Kurdes étaient vulnérables. À l’époque de l’administration coloniale anglaise en Irak, les Britanniques ont utilisé à maintes reprises les divisions intertribales kurdes pour parvenir à leurs fins. L’unité autour des Barzani, qui sont progressivement devenus les dirigeants de cette région, a été longue et chaotique. Il se souvient, par exemple, qu’à l’époque du conflit entre les deux partis dominants au Kurdistan irakien, le PDK et l’UPK, Massoud Barzani avait fait appel à Saddam Hussein – l’ennemi juré des Kurdes – en août 1996, pour combattre ses ennemis de l’UPK. Cette action, qui a durablement décrédibilisé le champion du PDK, résume la complexité du Kurdistan irakien, agité par des chefs tribaux autant que par des puissances étrangères, qui ont intérêt à l’affrontement.
Un long chemin vers l’unité
L’unité acquise au Kurdistan irakien l’a été de haute lutte, mais c’est devenu la région la plus stable d’Irak, et celle qui connaît la plus grande croissance économique. Pour le moment, on ne voit pas les mêmes perspectives se dessiner en Syrie. Selon Ali Dolimari, cela s’explique par le contexte du conflit, dans lequel il est impossible d’installer un débat démocratique, mais aussi parce que la principale force militaire au Kurdistan irakien, le PYD, prolonge la logique d’affrontement du PKK. “10 ans de négociations valent mieux qu’une année de guerre, assure-t-il. En refusant systématiquement la discussion avec l’État turc, le PYD poursuit son propre agenda, dans la tradition tribale, qui consiste à prendre le pouvoir les armes à la main.”