Dans une maison discrète de la banlieue d’Erbil, au Kurdistan irakien, un prêtre dominicain dirige la sauvegarde de manuscrits plusieurs fois centenaires.Ils sont une demi-douzaine de chrétiens irakiens à s’activer sous l’air conditionné. Ils nettoient, reconstituent, relient… Les ouvrages viennent pour la plupart de la bibliothèque des dominicains à Mossoul, et certains d’entre eux datent du XIIIe siècle.
Scannés page après page
Environ 50 000 ouvrages ont été sauvés sous la direction du père Nageeb, prêtre dominicain de Mossoul, juste avant la prise de la ville en 2014. Ils ont voyagé de nuit, en camion, sous la menace constante du conflit qui se rapprochait. La suite des événements a prouvé que les craintes des dominicains étaient justifiées : les djihadistes de l’État islamique ont scénarisé de vastes autodafés, au milieu desquels les livres sacrés chrétiens qu’ils ont pu trouver étaient brûlés. À présent, l’équipe de sauvegarde numérise ces trésors du temps passé.
Alors qu’elle scanne patiemment, page à page, un énorme livre relié de cuir usé, une chrétienne de l’équipe explique qu’ainsi, il sera “sauvé à tout jamais”. Même si les islamistes radicaux prenaient Erbil demain, la trace de ce livre qui a traversé les siècles serait accessible depuis des disques durs, en Europe et en Amérique.
“Quelque part, Daesh nous a rendu service”
Le père Nageeb présente sa réserve, d’un côté les manuscrits soigneusement restaurés et rangés, après numérisation, de l’autre un amoncellement indescriptible… Véritable caverne d’Ali Baba pour bibliothécaire, dont certaines pièces sont dans un état critique.
Parmi les ouvrages, des manuscrits où plusieurs écritures araméennes sont superposées. Dans un livre du XIIIe siècle, on distingue sur la même page, que trois copistes se sont partagés l’ouvrage. “Certains de ces livres avaient été complètement oubliés, sous des piles de cartons, voire dans des caves… Quelque part, Daesh nous a rendu service en nous forçant à mettre de l’ordre dans tout ça !”
Collé entre deux pages d’un ouvrage du XVe siècle, l’équipe a même découvert un parchemin signé par l’administration de Charlemagne ! On ne peut qu’imaginer la route qu’il a accompli pour parvenir jusqu’à Mossoul, dans des temps troublés par l’avènement de l’islam au détriment de l’Empire perse… La supposition du père Nageeb ? Il aurait été amené en Orient à la faveur des croisades, par les Templiers. Un mystère qui, lui aussi, restera intact.