Ode à la nature et invitation à goûter le présent, zoom sur un sublime film d’animation.
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Je n’ai pas 30 ans et pourtant je me surprends parfois à être nostalgique. Née à la fin des années 80, j’ai grandi biberonnée aux Disney. J’ai frémi devant la Belle au Bois dormant, dans ce passage terrifiant où Aurore pique son doigt à la pointe d’une quenouille. J’ai dansé sur les Aristochats et appris à aimer la musique classique grâce à Fantasia. Et puis au tournant des années 2000, déception. Disney commence à ne plus produire que des films en 3D. Pixar cartonne. Bien-sûr que j’aime Pixar, ne me tapez pas dessus tout de suite. Mais rien ne me procure autant d’émotions qu’un dessin animé à la main, où l’on sent le coup de crayon vivace, les couleurs vibrer et poindre quelques charmantes imperfections… Quelle poésie que ces vieux Disney des années 1950 à 1970 ! J’en aime la vision de la ville (les Aristochats, les 101 Dalmatiens), le petit côté désuet qui s’en dégage.
Frustrée par une 3D que je trouve souvent trop réaliste ou trop caricaturale, je me dis alors que c’était quand même mieux avant… puis je me tourne vers l’univers des Studio Ghibli, fondé par les japonais Hayao Miyazaki et Isao Takahata. Et là, je retrouve cette émotion si distincte du “vrai” dessin animé avec en prime, un onirisme incroyable et des messages de fond profondément éducatifs. Forcément, quand j’ai appris que le Studio japonais c’est associé à deux studios français pour créer La Tortue Rouge, j’ai couru en salle.
Une pépite franco-japonaise
Réalisé par le néerlandais Michaël Dudok de Wit, le film a été produit par Ghibli en collaboration avec les studios français Why Not et Wild Bunch. Le studio japonais souhaitait en effet une production en France pour des raisons de lois sur les droits d’auteurs plus favorables.
Jusque là , le réalisateur n’avait signé que des courts-métrages. Au visionnage de Le Moine et le poisson et de Father & Daughter (son court-métrage primé aux Oscars 2001, devenu culte), on sent l’épure chère au Studio Ghibli, mais surtout un grand effet de réel malgré la simplicité du dessin. C’est cette place laissée à la représentation du spectateur lui-même qui a provoqué le coup de cœur d’Isaho Takahata. Mais aussi, du moins on l’imagine, la vision très orientale de la nature, de la vie et de la mort qui pointe à travers l’œuvre de Michaël Dudok de Wit.
De La Tortue Rouge, son réalisateur dit : “Ce film raconte aussi que la mort est une réalité. L’être humain a tendance à s’opposer à la mort, à avoir peur de la mort, à lutter contre et ceci est très sain et naturel. Et pourtant, simultanément, on peut avoir une compréhension intuitive très belle qu’on est la vie pure et qu’on n’a pas besoin de s’opposer à la mort. J’espère que le film transmet un peu ce sentiment”.
En ces temps troublés, La Tortue Rouge sonne donc comme une magnifique invitation à goûter le présent.
Sans aucun mot, le film parle à l’âme
Au premier abord, le pitch peut faire craindre un ennui mortel. Un naufragé débarque sur une île déserte, et c’est parti pour 1h30 sans paroles. Et pourtant, le film parle à l’âme avec une ode sublime aux éléments. C’est le vent à travers une forêt de bambous qui murmure une histoire, le va-et-vient des vagues qui chuchote le conte, le feu crépitant qui chahute nos émotions. Les sons d’une nature sublimée nous emmènent là où l’on ne s’attendait pas… On est loin d’une histoire de survie en milieu hostile. C’est plutôt le récit d’une communion avec la nature. D’abord un apprivoisement, puis une symbiose magnifique. Et c’est la tortue rouge qui en est la plus belle allégorie. Immense créature qui détruit les embarcations de notre naufragé à chacune de ses tentatives pour fuir l’île, elle se révèle bienveillante et réconfortante.
Pour procurer autant d’émotions, il fallait appréhender cette nature avec pureté et simplicité. Ses décors réalisés à la main sur papier, le réalisateur les a voulus dépourvus de tout superflu, fidèle au style zen de ses courts-métrages précédents. Il confie au magazine du Monde : “Je voulais pour mon film qu’on sente la nature plus qu’on ne la voie, à travers des éléments simples : la mer bleue, le ciel bleu, le vert des arbres, un temps gris. Je ne voulais pas montrer l’homme face à la nature mais l’homme dans la nature : dans cette simplicité, ils sont toujours ensemble. Ils s’appartiennent”.
Se laisser surprendre
Sans jamais tomber dans les clichés, le film oscille entre le rêve et la réalité, brouille les pistes, invite à perdre délicieusement tous nos repères. À chaque retournement de situation, on retient sans souffle. Et l’on est toujours surpris de l’issue de la scène…
Pour faire aimer la nature aux petits ou pour célébrer la vie et oublier l’horreur actuelle, il y a de nombreuses bonnes raisons d’aller en salles découvrir ce petit joyau d’animation comme on en fait presque plus.
En salles depuis le 29 juin.