Le camp des réfugiés de Kara Tepe est rempli d’individus ayant souffert tragédies et terreur, trouvant la fraternité derrière la douleur.
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Il y a aussi Sajab, un technicien du son afghan, qui s’est “heurté à un problème”, mais qui n’en dira pas plus. Il m’a expliqué qu’il parle le dari, l’une des langues les plus présentes en Afghanistan. L’autre est le pachto. Je lui ai fait remarquer que personne au camp ne semblait parler le pachto. Il a ri. “Tous les talibans parlent le pachto, ce sont ceux qui parlent le dari qui ont des problèmes !” J’ai souri et demandé : “Des problèmes de sécurité ?”. Il a hoché la tête avec un large sourire.
Le trafic d’êtres humains est une réalité
Mais l’histoire la plus étrange de mon séjour ici est celle des quatre femmes qui sont arrivées il y a quelques jours. Elles viennent de République dominicaine. Oui, vous avez bien lu. Elles viennent d’un pays des Caraïbes. Comment diable sont-elles arrivées à Lesbos ?
Elles recherchaient du travail et ont été contactées par un homme d’une agence embauchant à l’étranger. Elles devaient aller en Turquie pour travailler dans un nouveau restaurant à thème caribéen. Elles sont arrivées à Istanbul et ont aidé à la mise en place des locaux. Elles se sont ensuite concertées, trouvant que quelque chose n’allait pas, et ont décidé de passer outre. Après tout, le mal du pays rend las et le temps aide à tasser les choses. Mais une autre femme a alors reçu un message affirmant que les locaux étaient en fait un lieu de prostitution. Des activités mafieuses se cachaient derrière et elles ont été forcées à la prostitution ce même jour. Elles n’avaient ni porte-monnaie ni passeport sur elles, ne savaient pas en qui avoir confiance, et n’ont donc pas essayé de trouver l’ambassade de leur pays. Elles ont donc fui. Environ une semaine plus tard, elles embarquaient pour Lesbos et sont ainsi devenues les nouvelles résidentes de Kara Tepe (à l’exception d’un nouveau-né la veille).
Le trafic d’êtres humains est une réalité. Il revêt un caractère insidieux. Ces femmes ont eu le courage et la chance de pouvoir s’enfuir. Mais même le futur de ces nouvelles arrivées est incertain. Comme tout le monde, elles jouent le jeu de l’attente. Elles m’ont posé une question à laquelle j’ai pu répondre. Elles veulent aller à la messe ce dimanche. Heureusement pour tout le monde ici, il y a une messe à Lesbos chaque dimanche de ce mois (ce qui n’est pas toujours le cas), et je vais m’assurer qu’elles aient un moyen d’y assister.
Ici les visages dans la foule ne sont pas une liste de réussites, mais des teintes de tragédie et de terreur. La fraternité se cache derrière la douleur. Chacun sait que tout le monde ici a vécu une terrible histoire, sans quoi ils ne seraient pas là.
À côté du port de Mytilène se trouve la statue d’une femme le bras tendu vers le ciel, tenant une couronne. Un des habitants locaux m’a affirmé en riant : “Nous aussi on a une Statue de la Liberté”. La couronne provient de Mytilène, représentée par la femme, en l’hommage de ses fils tombés au champ d’honneur lors du conflit avec la Turquie (de 1919 à 1922). La statue fait face au port, là où le ferry part pour Athènes. Tous les après-midi, je vois des réfugiés assis sur les marches de la statue, regardant le ferry. Quelques signes d’adieu sont adressés aux amis qui ont la chance d’avoir un billet. Certains se contentent de regarder et d’attendre, préparant leur visage pour le jour suivant. Visage que le prochain touriste inhumain ne distinguera jamais parmi la foule sans nom.