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L’épisode du vase de Soissons raconté par Grégoire de Tours dans son “Histoire des Francs” a fait le bonheur des manuels d’école de la IIIe République.
“Braves guerriers, je vous prie de bien vouloir m’accorder, outre ma part, le vase que voici (…)”. Jaloux et emporté, un des guerriers leva sa francisque, et frappa le vase en s’écriant : “Tu n’auras rien que ce que le sort te donnera”. Le roi dissimula son ressentiment sous un air de douceur et de patience, et, après s’être fait donner le vase, il le remit au messager de l’évêque, gardant au fond de son cœur une colère secrète.
L’iconographie s’est plu à représenter un Clovis chevelu et moustachu, brisant de sa francisque la tête du soldat récalcitrant à lui donner le vase du butin. Peut-être les enfants se sont-ils imaginé que Clovis voulait offrir ce vase à son épouse, la reine Clotilde, pour qu’elle puisse y déposer de beaux bouquets. Ce vase n’a pas de fonction décorative, car c’est un vase sacré, peut-être un calice, plus sûrement un ciboire, que les soldats de Clovis ont volé dans une église de la région. Si l’évêque Remi demande à récupérer ce vase c’est certes pour sa beauté et sa valeur, mais surtout en raison du caractère sacré de cet objet. Si Clovis souhaite le restituer à l’évêque de Reims, c’est donc qu’il reconnaît l’importance de l’Église dans cette Gaule qu’il est en train de conquérir et qu’il cherche à s’attacher les faveurs du clergé qui compose l’aristocratie gallo-romaine. Rendre ce vase à Soissons, c’est faire un geste de pacification à l’égard du peuple romain que l’on cherche à dominer, et à l’égard de l’Église, que l’on souhaite se concilier. À Soissons, c’est donc l’alliance des Francs et des Romains, des païens et des chrétiens, qui s’est jouée.
Soissons : conquérir le nord de la Gaule
Clovis, roi des Francs saliens, est en guerre contre le Romain Syagrius. L’événement du vase est traditionnellement daté de 486, soit une dizaine d’années avant le baptême du roi (496). Ce qui est aujourd’hui la Picardie est alors le cœur politique du royaume franc, et Soissons une des premières capitales de la France. Dans le même espace géographique se trouvent Laon, qui fut un immense pôle intellectuel autour de l’an mil, et Reims, dont les tribulations de la cité se mêlent à celles de la France. Les évêques sont les dernières sentinelles d’un Empire romain qui s’effondre sous le coup des invasions. Quasiment tous sont issus de la haute aristocratie romaine. Ils ont été formés dans les meilleures écoles, ils maîtrisent les auteurs classiques, et sont férus de droit et de rhétorique, alors les matières phares. L’autorité politique s’étant dissoute, c’est eux qui, par la force des choses, prennent en charge la gestion des villes, notamment pour l’approvisionnement en nourriture (l’anone) et les négociations avec les envahisseurs. L’Église émerge comme force politique parce que l’Empire se retire et n’est plus capable d’assurer la protection de sa population. À Soissons, en cette fin du Ve siècle, ce sont les fondements de la société médiévale qui sont posés : l’Occident passe de l’Antiquité à un nouveau monde.
Paix politique et paix religieuse
Remi doit lutter pour la paix politique comme pour la paix religieuse. Le monde chrétien est alors marqué par la diffusion de l’arianisme, hérésie née en Égypte qui nie la divinité du Christ. Nombreux sont les Romains et les Barbares qui adhèrent à l’arianisme. Dans certaines régions, les catholiques sont minoritaires alors que la doctrine arienne est en pleine progression, si bien que beaucoup se demandent si l’Église ne va pas être vaincue par cette hérésie. Les tentatives de conversion ont échoué : il est rare que les hérétiques reviennent vers la foi orthodoxe. Le génie de Remi est de comprendre que ce sont les païens qu’il faut convertir, en s’appuyant sur la noblesse acquise à sa cause, comme Clotilde, princesse burgonde, et Geneviève. Entre la Seine et le Soissonnais, l’histoire de France s’est aussi construite par les femmes.
Le vase ressurgit dans le testament de Remi où l’évêque mentionne un vase d’argent qu’il lègue à l’église de Laon pour que l’on en fasse un encensoir et un calice. Cela témoigne des talents des artisans de cette époque dans le travail des métaux et des pierreries. Chute de l’Empire, oui, mais ce ne sont pas pour autant les temps barbares que l’historiographie s’est complu à transmettre.
Soissons, capitale de la Neustrie
Soissons devient la capitale de la Neustrie, cette vaste région du nord de la France qui regroupe l’ancien royaume de Syagrius vaincu. C’est à Soissons que Pépin le Bref est sacré roi par saint Boniface en 752. L’heure de Reims comme ville du sacre n’est pas encore venue. Mais dès la fin du règne de Clovis, ses enfants se déchirent son héritage. La famille mérovingienne se massacre et s’assassine. Clodoald, petit-fils de Clovis, échappe de peu au massacre et se réfugie à l’écart sur les hauteurs de Paris (Saint-Cloud). Il reste encore beaucoup à faire pour apporter la paix dans le royaume.