De quel livre parler ? Du lauréat d’un prix parmi tant d’autres ? Du Nobel de littérautre ou du best-seller de l’été ? Et si l’on parlait du silence ?
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Un recueil m’a gagné le cœur dès les premiers mots parcourus en l’ouvrant au hasard :
Je sais bien mon Dieu que personne ou presque ne lit mes poèmes…
Je me suis glissé dans le presque. Et d’un poème à l’autre s’est confirmée mon intuition.
J’aime les recueils qui cachent leur art poétique comme dans les dessins-devinettes. J’ai tôt fait de le trouver. La neige est tombée pendant la nuit :
Ce n’est pas la page blanche, non.
L’abondance des signes
contradictoires, illisibles,
laisse place à l’épure :
l’idéogramme du mot arbre
et celui d’un oiseau
se détachent,
les maisons soufflent
leur haleine silencieuse.Comprends-tu mieux
à présent
ce que veut dire écrire ?
Écrire, c’est relever les empreintes, c’est déchiffrer les signes. Il faut peu de mots, pour ne pas tacher la page, pour ne pas briser le silence :
Il neige sur la page.
Tu ne le vois pas et pourtant… Les flocons
tombent doucement, s’accumulent
tout autour des mots, mangent
les lignes, cernent le poème
de silence.
J’aime les recueils qui trouvent ces signes aussi dans le silence des peintres. Et c’est ici le cas avec Le Massacre des innocents de Bruegel, tableau de neige comme Le Dénombrement de Bethléem – cruelle symétrie. Avec la Madeleine de Piero au Duomo d’Arezzo, et le Noli me tangere de Fra Angelico dans une cellule de San Marco.
J’aime un recueil d’empreintes. Tes empreintes. De qui ? Les empreintes que laisse le passage de Dieu dans la vie des hommes. En tous temps, en tous lieux : à l’hospice où meurt la grand-mère, dans l’Inde de Mère Teresa, dans les îles grecques souillées par le tourisme de masse, au village de Boëge en Haute-Savoie. Courtes séquences, entre tendresse et humour, dont le poème qui m’a gagné donne le ton :
Je sais bien mon Dieu que personne ou presque ne lit mes poèmes.
Je les écris pour toi
qui les regardes avec le même sérieux, la même joie peut-être
qu’une mère qui reçoit de son enfant pour sa fête
un cadeau fait par lui à l’école de la vie
en pots de yaourts, en nouilles
ou en bois d’allumettes.
Ce poème a pour titre : Prière. Ou encore, dans la séquence Quatre sacrements :
Pendant la consécration à la messe
il faut toujours qu’une petite vieille
froisse un sac en plastique
dans son cabas ou dans son sac à main
jusqu’à couvrir pour ses voisins
les paroles du prêtre.
Poème sans titre mais suivi d’un commentaire de la main de l’auteur :
(c’est peut-être le moyen qu’ont trouvé les anges
de nous faire entendre le bruissement de leurs ailes
paravent d’un si grand amour).
Humanité souriante, qui n’exclut pas, dans la même séquence, la grave image qui fixe l’instant bouleversant dans une cérémonie d’ordination – sous le titre Vendanges :
Devant la tombe de l’autel
les futurs prêtres
sont à plat ventre
sur le marbre froid
immobiles
le corps entaillé
par la grosse cicatrice rouge de l’étole
piétinés par la foule de la litanie des saints
au pressoir invisible
du ciel.
Tels sont ces poèmes de silence et de neige, plus travaillés qu’il ne semble tant Paul Guillon dit humblement son travail (Dans le fond du jardin / sous la remise / ma femme range les bûches / et moi dans la maison / les lignes du poème) : empreintes posées sur le chemin qui mènerait au “mystère même du monde”, dans l’impossible espoir, mais jamais abandonné, de le formuler – c’est le dernier mot – celui de tout vrai poète.
Tes empreintes de Paul Guillon. Ad Solem, 88 p., 19 euros.