Eugénie Bastié n’a pas un quart de siècle mais elle est déjà une plume et une voix avec lesquelles il faut compter. Journaliste au Figaro et rédactrice en chef politique de la revue d’écologie intégrale Limite, elle ne manie pas la langue de bois. Ce premier essai vient confirmer sa réputation de rebelle au "politico-bobo correct" avec, pour cible, le féminisme associé au transhumanisme.
Des "avancées" dans le mur
Le titre fait allusion à l’abandon de la civilité "Mademoiselle" par l’administration française sous l’égide d’un Premier ministre qui se nommait à l’époque François Fillon : un exemple entre cent de l’alignement de la droite sur les réformes sociétales libertaires dont la gauche a fait son cheval de bataille. Mais si cette réformette qui oblige l’administration à donner du "Madame" à une adolescente se distingue surtout par son ridicule, dont on sait qu’il ne tue pas, on doit au féminisme d’autres "avancées" plus transgressives. Eugénie Bastié les décortique en pointant les paradoxes auxquels conduisent les combats menés au nom de la libération de la femme par les épigones de Simone de Beauvoir, qui fut la première à soutenir dans Le Deuxième sexe qu’ "on ne naît pas femme, on le devient". Aujourd’hui, les féministes luttent pour l’abolition de la prostitution mais veulent autoriser la GPA, autrement dit la location de vagins, sous prétexte de non-discrimination ; elles (et ils) militent pour l’égalité homme-femme au travail mais promeuvent le "genre", autrement dit l’abolition de la différence sexuelle, pour en finir avec le sexisme ; elles prétendent défendre la dignité de la femme mais stigmatisent la maternité comme une forme d’aliénation (en attendant l’ère radieuse de l’utérus artificiel !) ; en fin de compte, elles livrent à la marchandisation le corps féminin au nom de la liberté de chacune à en disposer. L’icône contemporaine de ce néo-féminisme qui aboutit en réalité à "la défaite des femmes", c’est la ministre Najat Vallaud-Belkacem, grande pourfendeuse du prétendu sexisme jusque dans la syntaxe, et prêtresse de la théorie du genre à l’école. Elle trouve en Eugénie Bastié un redoutable bretteur (eh non, l’Académie n’autorise pas encore "bretteuse"…).
Mais s’il est relativement aisé – quoique courageux – de critiquer les derniers avatars du féminisme, il est plus délicat de remonter aux lois Neuwirth (1967) et Veil (1975) qui les ont engendrés. Que dire de la contraception ? De l’avortement ? Là-dessus, l’avis d’Eugénie Bastié est mitigé. "Je ne suis pas sûre que la pilule ait rendu la femme plus heureuse", répond-elle lors d’une interview dans Causeur. Cet entre-deux est plus sensible encore pour la loi Veil sur la lettre de laquelle – après beaucoup d’autres – la journaliste croit pouvoir s’appuyer pour en dénoncer la dérive : avoir fait d’une permission, d’une concession à la détresse, un "droit fondamental". Elle rappelle à ce propos les paroles de Simone Veil défendant sa loi : "Je le dis avec toute ma conviction : l’avortement doit rester l’exception, l’ultime recours pour des situations sans issue".
Quel "accommodement" ?
S’inscrivant dans la démarche de Simone Veil, Eugénie Bastié salue sa "loi de concession au réel", cette "loi d’accommodement et d’ajustement au regard du moindre mal qui l’oblige à s’en remettre à la sagesse des générations futures pour en conserver l’esprit". Et de déplorer que cette jeunesse à laquelle Simone Veil affirmait faire confiance "pour conserver à la vie sa valeur suprême" ait "trahi l’esprit de la loi en la faussant" (p.138). Mais comment pouvait-il en être autrement ? Quel "accommodement", quel "ajustement" trouver pour autoriser un avortement ? Dans le blog de La Croix, le philosophe Thibaud Collin, tout en saluant le courage et la franchise avec lesquels Eugénie Bastié aborde de front ces sujets tabous, la met en face de cette alternative : "Soit c’est un mal intrinsèque, à proscrire absolument ; soit ce n’est pas un mal et alors cet acte peut devenir un droit, conséquence de la libre disposition que la femme aurait de son corps". Si les néo-féministes ont trahi la lettre de la loi Veil, il est difficile de soutenir qu’ils en ont trahi l’esprit.
Adieu mademoiselle - La défaite des femmes d'Eugénie Bastié. Éditions du Cerf, 225 pages, 19 euros.