Pierre Collignon, directeur de l’Ircom, nous apprend l’art de communiquer avec éthique.
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Aleteia : Un bon communicant est-il un bon menteur ? Communiquer n’est-ce pas tromper la personne qui en est la cible, camoufler ou enjoliver la vérité ?
Pierre Collignon : L’art de communiquer comporte toujours une dimension éthique forte : si l’on veut bien y réfléchir quelques minutes, les deux plus célèbres communicants du XXe siècle étaient deux moustachus. Et quelles horreurs ils ont commises ! C’est pourquoi à l’Ircom nous mettons fortement l’accent pendant la formation sur le discernement éthique. Nous formons de futurs managers : au-delà des techniques de communication, c’est cette capacité de réflexion et cette exigence intellectuelle que nous développons chez les étudiants. Chaque communicant a le devoir de servir la vérité, d’expliquer la réalité en résistant au désir de la travestir ou de l’enjoliver pour servir sa cause ou son organisation. Un bon communicant doit donc être capable d’objectiver une situation et de réfléchir aux finalités de son action.
Nous sommes dans un monde saturé de communication, que ce soit en politique, dans l’entreprise ou dans la vie privée… Ne faudrait-il pas arrêter de communiquer sur tout ? À l’heure des réseaux sociaux, du règne du “like” et du “RT”, est-il possible de communiquer sans rester superficiels ?
Il est vrai que l’explosion des moyens de communication a conduit à une certaine saturation et même superficialité des moyens de communication. On a cru que ces outils allaient nous rapprocher mais en voulant créer le “village global” nous avons tout simplement bâti la tour de Babel ! Cela dit, il ne faut pas oublier que les réseaux sociaux ne sont précisément que des moyens. À l’Ircom nous les voyons comme de formidables opportunités. Opportunité de “créer des ponts, de favoriser la rencontre et l’inclusion, enrichissant ainsi la société” (Ndlr, message du pape François pour la 50e Journée mondiale des communications sociales). Opportunité de favoriser le dialogue et le débat en politique. Opportunité d’une plus grande proximité entre une entreprise et ses partenaires ou ses clients. Et bien-sûr opportunité de nouveaux emplois en community management (nous avons d’ailleurs créé une spécialisation en 2e année de master). La rapidité de ces nouveaux moyens de communication ne nous dispense pas de réfléchir à ce qui fait une bonne communication : son utilité et sa véracité.
Votre école revendique des valeurs éthiques issues de la doctrine sociale de l’Église. Qu’est-ce qu’une communication fidèle à la doctrine sociale de l’Église ?
Que ce soit en communication interne (favoriser les relations entre les personnes) ou en communication externe (promouvoir une entreprise et ses produits ou services), la première exigence du communicant doit être le souci du Bien Commun. Encore faut-il s’entendre sur la notion de Bien Commun ! C’est pourquoi tous les étudiants à l’Ircom sont formés aux grands principes de l’enseignement social chrétien. Notre fondateur, l’Abbé Houard, définissait la communication comme “le réseau des échanges qu’hommes et femmes tissent entre eux pour réaliser chacun la perfection de son être et ensemble l’âme d’une communauté”. La communication participe en effet à la construction de chaque personne et vise l’unité dans le monde.
Est-il urgent que les chrétiens investissent la communication ? Dans quel but ? pour remodeler le monde à l’image qu’il souhaitent ou pour parler au monde avec le langage du monde ?
Nous croyons vraiment que la formation de jeunes compétents et engagés peut contribuer à renouveler la société. À l’Ircom nous avons trois formations : un master en humanitaire et social, une licence en lettres et sciences politiques et un master en communication. Quoi de plus évident que de s’engager dans le secteur de la solidarité ou en politique pour changer le monde ! Mais qu’en est-il de la communication ? Pourquoi est-il si urgent de former des professionnels de la communication qui ont cette capacité de réflexion éthique dont nous venons de parler ?
Les chrétiens ont le devoir d’annoncer la Vérité. Comment la rendre visible au monde si nous n’investissons pas les moyens de communication ? L’Église, ou du moins certains de ses membres l’ont fort heureusement bien compris. Je pense notamment à tous les blogueurs catholiques influents qui lui permettent de faire entendre sa voix.
Que ce soit dans le monde économique, politique ou social, la communication peut vraiment être au service de l’unité entre les hommes. Si l’on comprend que la foi chrétienne est avant tout un mystère de communication, circulation d’Amour entre le Père, le Fils et l’Esprit, alors on comprend pourquoi la communication est un enjeu essentiel dans lequel les chrétiens doivent s’engager. Je ne résiste pas au désir de citer à nouveau le pape François : “L’amour, par nature, est communication, il conduit à s’ouvrir et non pas à s’isoler. Et si notre cœur et nos gestes sont animés par la charité, par l’amour divin, notre communication sera porteuse de la force de Dieu.”