L’euroscepticisme britannique latent dès l’origine n’a cessé de croître. Il vient de l’emporter.
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Au lendemain d’un vote qui a vu le Brexit l’emporter, Pascale Joannin, directrice générale de la fondation Robert Schuman, analyse pour Aleteia la décision des Britanniques de quitter l’Union européenne.
Aleteia : Selon vous, pourquoi le Royaume-Uni a-t-il décidé de claquer la porte de l’Union européenne ?
Pascale Joannin : C’est un pays qui est entré en 1973 seulement au sein de la Communauté européenne. Ce n’est pas un pays fondateur de la CEE. Il a toujours eu une position très alambiquée vis-à-vis l’Union européenne, ne participant pas à la plupart des avancées qui ont eu lieu depuis 1973, sauf sur le grand marché unique. Mais n’étant pas dans l’espace Schengen, ni dans la zone euro, il n’a pas non plus ratifié la Charte des droits fondamentaux… C’est un pays qui a toujours eu un pied dehors un pied dedans, comme on l’a dit trop souvent. De ce fait, il y a toujours eu une grande partie de la population dont la sympathie pour l’Europe n’était pas très flagrante.
Quel est le visage de cette population “peu européenne” ?
Il y en a plusieurs. Il y a une partie des conservateurs britanniques (minoritaires), avec Boris Johnson, l’ancien maire de Londres, à leur tête. Ils ont provoqué ce référendum. Il y a trois ans, en 2013, David Cameron comptait de nombreux challengers au sein du parti conservateur. Il s’est engagé à faire passer un référendum en cas de réélection. Il a été réélu en 2015, et le référendum a eu lieu.
Ensuite, il y a le parti Ukip, qui existe depuis 1973 et dirigé par Nigel Farage, fermement opposé à l’adhésion du Royaume-Uni à l’Union européenne depuis l’origine. Sans la moindre traduction politique au Royaume-Uni toutefois car il n’y compte qu’un seul élu.
Enfin, il y a le facteur populaire. La population britannique n’est pas forcément conservatrice ou favorable aux idées du Ukip mais elle voit l’Europe comme une contrainte. Elle n’a pas forcément bénéficié de l’adhésion du Royaume-Uni à l’Union européenne. Pour elle, la vie est difficile.
Hier les principales villes du pays ont voté massivement pour le remain mais les campagnes ont voté pour le Brexit. Donc il y avait un euroscepticisme latent dès l’origine qui n’a cessé d’augmenter.
Est-ce une bonne ou une mauvaise nouvelle pour la France ?
Pour la France, c’est une nouvelle. Bonne ou mauvaise, je n’en sais encore rien. Nos relations avec les Britanniques ont toujours été difficiles, car on les accuse à l’envie d’être trop libéraux, trop favorables au “marché”… Ceci dit, nous avons des liens étroits au niveau de la défense. Nous sommes les deux pays qui dépensons encore un peu de budget national pour des opérations de défense et nous sommes souvent sur le terrain ensemble… L’organisation militaire à laquelle appartiennent nos deux pays est l’Otan. Mais il va falloir désormais que nous rediscutions les termes du contrat.
Sur la question migratoire, il pourrait y avoir des modifications de l’accord du Touquet, accord bilatéral entre la France et le Royaume-Uni par lequel le contrôle de la frontière britannique s’effectue sur le territoire français. Il permet qu’un certain nombre de migrants ou de réfugiés qui ne sont pas autorisés à entrer au Royaume-Uni campent, dans les conditions que l’on connaît, dans la région de Calais. Si le Royaume-Uni quitte l’Union européenne, la France va-t-elle accepter de continuer à les accueillir et de les maintenir sur son sol ? Attendons de voir si la France demande sa renégociation.
Y a-t-il d’autres difficultés que la France va devoir surmonter ?
La mauvaise nouvelle est d’abord pour les Britanniques. Ils vont avoir des problèmes intérieurs. Depuis l’annonce des résultats, les Écossais commencent à reparler de l’indépendance de l’Écosse, les Irlandais du Nord posent la question d’une réunification avec l’Eire… Un processus de dislocation du Royaume-Uni va peut-être s’amorcer.
Les marchés financiers sont très affolés depuis ce matin : ils sortent d’un grand ensemble et ils vont se retrouver tout petits à l’échelle du monde… Ils comptent à l’intérieur de l’Union européenne, mais que vont-ils devenir en dehors ?
Quelles conséquences pour l’Europe ?
Ce n’est pas une bonne nouvelle. Mais l’Union européenne existait avant le Royaume-Uni, et elle continuera à exister après le départ du Royaume-Uni. Mais pour l’opinion et les observateurs, il va falloir que les États membres prennent des initiatives et des décisions pour montrer que l’Europe n’est pas arrêtée par le Brexit… On attend des initiatives franco-allemandes, mais également des six pays fondateurs. En réalité, le problème est surtout pour le Royaume-Uni, car il ne pourra pas rester tout seul et devra renégocier des accords internationaux sur le modèle norvégien ou suisse… C’est une période de troubles qui s’ouvre pour les Britanniques : pendant les deux années de divorce qui s’annoncent et par la suite, pendant la renégociation des traités avec l’Union européenne.
Est-ce une vague de départs qui s’annonce ?
Pour l’instant, la demande vient de partis populistes, antieuropéens. Il y en a deux : le parti de M. Wilders aux Pays-Bas (l’allié de Marine Le Pen au Parlement européen) et celui de Mme Le Pen en France. À ce jour, il n’y a pas d’autre pays à manifester une demande de sortie après le référendum britannique. Les populistes le réclament mais ils ne sont au pouvoir nulle part actuellement.
Ce choix n’est-il pas typiquement britannique ? Le général de Gaulle l’avait déjà analysé…
Le général de Gaulle ne voulait pas faire entrer le Royaume-Uni dans la communauté européenne pour des raisons évidentes. Si vous relisez Robert Schuman, le père fondateur français, dans son livre daté de 1963, il explique les raisons pour lesquelles la Grande-Bretagne ne pouvait pas entrer dans l’UE. Il y a une spécificité britannique, du fait que c’est une île qui n’a jamais été envahie, même pendant la Seconde Guerre mondiale. À ce sujet, il y a toujours eu une certaine réfraction britannique à se voir assimiler au reste du continent.
Les pères fondateurs avaient-ils envisagé ce genre de situation pour l’Europe ?
Non. Robert Schuman voulait une alliance avec l’Allemagne pour qu’il n’y ait plus jamais la guerre entre nos deux pays. Il était issu d’une région – l’Alsace-Moselle – qui avait été française ou allemande au gré des guerres et dont les départements n’ont toujours pas la même loi qu’ailleurs près de cent ans après la fin de la Première Guerre mondiale. L’objectif était de se donner les moyens de ne plus se battre sur ce continent qui a été le théâtre de deux Guerres mondiales extrêmement meurtrières au siècle dernier…
Le principal atout de l’Union européenne, que les peuples ont un peu oublié, c’est que l’on ne se fait plus la guerre depuis plus de 70 ans. Les Anglais n’étaient pas intéressés par ce projet au départ, ils se simplement sont laissés séduire par la communauté économique européenne. Le pays est “faiblement européen” depuis le départ.
Churchill appelait de ses vœux une Union européenne, mais il ne voulait pas que le Royaume-Uni en fasse partie. “Nous n’avons pas été envahis, donc nous n’avons pas la même Histoire que l’Europe.” Ils sont rentrés pour des motifs économiques et ils en ressortent pour des motifs qui sont tout sauf économiques.
Propos recueillis par Sixtine Fourneraut