Seconde partie de notre échange avec un théologien qui ne craint pas d’affronter son époque.
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À l’occasion de la parution de Délivrés, méditations sur la liberté chrétienne, suite de l’entretien avec l’abbé Guillaume de Tanoüarn.
Aleteia : Le mot de liberté a tellement été galvaudé que l’on ne l’emploie qu’avec un certain malaise, son utilisation à temps et à contre-temps a saturé le discours public … et l’indigestion guette…
Guillaume de Tanoüarn : La rhétorique politicienne s’est servie de la liberté mais remarquez que l’égalité reste une valeur qui est, sur ce plan, aujourd’hui bien supérieure, bien plus concrètement poursuivie que la liberté. Cela est vrai en particulier dans notre pays, parce que, comme disait notre actuel Président, en préface à ses soixante propositions électorales, “l’égalité est l’âme de la France”. Nous avons une indigestion d’égalité. L’égalité ne peut pas être l’âme d’un peuple. Il faudrait, au contraire de ce que vous semblez dire, réintroduire de la liberté dans le fonctionnement social et politique de la nation France. Une société est d’autant plus chrétienne qu’elle permet à chacun de prendre ses responsabilités, c’est-à-dire d’exercer sa liberté, en étant capable de faire fructifier ses talents, comme le veut l’Évangile, de sorte que cinq talents reçus correspondent à dix, deux à quatre etc.
Vous indiquez que la liberté génère deux angoisses : celle de l’attente et celle de la responsabilité. N’est-ce pas pour éviter cette dernière que l’homme contemporain se soumet volontiers aux esclavages qui lui sont proposés ?
C’est tout le problème d’aujourd’hui. Nous n’acceptons plus la responsabilité chrétienne, nous n’acceptons plus d’être responsables de nos choix. Nous voudrions une liberté qui se satisfasse, sans risque, du miroitement de tous les possibles. Nous avons régressé au stade infantile ou plutôt dans une sorte d’adolescence perpétuelle, ce que l’on appelle “adulescence“, ce néologisme formé avec le mot “adulte”et le mot “adolescent”. L’homme contemporain ne fait qu’un choix : celui de la servitude volontaire dont parle La Boétie. Encore voudrait-il oublier ses addictions et s’imaginer pur de toute mauvaise habitude dans un monde corrompu. La corruption, c’est les autres ! L’homme contemporain ne fume pas (fumer tue), il préfère à tout autre sport le “safe sex”, il pense toujours le bien et il n’est pas coupable. La vie est comme un grand jeu vidéo, où l’on peut sans cesse rejouer, sans avoir quoi que ce soit à payer pour ses échecs antérieurs. Le Christ nous dit exactement l’inverse : “Reconnaissons que nous sommes pécheurs”.
Vous avancez l’idée que l’homme-Argent devenu modèle social est le symbole et l’aimant d’une société qui renonce à la liberté. Vous allez plus loin que l’opposition être-avoir en rappelant que cet homo oeconomicus veut avant tout “faire valoir ses droits”.
Je crois effectivement que l’avoir est le seul être que l’on reconnaisse aujourd’hui, Marx l’avait bien compris dans ses Manuscrits de 1844. Mais du coup, il n’y a d’être que dans ce que l’on nomme la valeur. On emploie ce terme de “valeurs” à tort et à travers et c’est un signe : tout ce qui est a un prix dans la société contemporaine, même les qualités des individus que l’on nomme justement des valeurs. Quant à la liberté chrétienne, elle consiste à cultiver ce qui est gratuit de préférence à ce qui a de la valeur et même à dire (dans une subversion totale du désordre contemporain) que seul ce qui est gratuit a une véritable valeur. Il n’y a de valeur que par et dans le sacrifice. Ce n’est pas très sexy ? Mais c’est l’Évangile : “Celui qui veut gagner sa vie la perdra, celui qui perd sa vie à cause de moi la gagnera”.
Propos recueillis par Thomas Renaud
Délivrés, méditation sur la liberté chrétienne de Guillaume de Tanoüarn. Editions du Cerf, 288 pages, 22 euros.