De l’art du partage, en cette année de la Miséricorde.
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Partager. C’est une leçon que les enfants au sein d’une fratrie apprennent très tôt, quelquefois à contrecœur. Comme nous étions deux, ma mère avait une solution très simple lorsqu’il s’agissait de partager une friandise : “L’un de vous la partage en deux, l’autre choisit son morceau”. Nous faisions de ce fait extrêmement attention à ce que chacun reçoive une part égale, acquérant ainsi une bonne maîtrise des fractions. Comment font les parents de dix enfants ? Cela va bien au-delà de mes compétences mathématiques, mais je suppose que le principe reste à peu près équivalent.
Fonctionner sur des faux-semblants, comme mon fils et mon petit-fils, est un peu plus compliqué mais reste une possibilité. Ce faisant, ils apprennent le principe de réciprocité et la difficulté d’être équitable dans un monde où règne l’inégalité. Répartir en parts égales ; chacun son tour. Tout ceci semble juste. Et voilà que Jésus vient anéantir toutes nos convictions.
Le partage équitable est après tout un concept mondial. La miséricorde, qui est la façon de Dieu de nous encadrer, nous en demande davantage. C’est la raison pour laquelle la suggestion de cette semaine pour pratiquer la miséricorde pendant l’année jubilaire paraît tellement subversive. “Si vous partagez une friandise, prenez la plus petite part.”
Au fond, nous sommes tous des enfants uniques
Bien ! Évidemment cela semble simple, gentil. N’est-ce pas ce que ferait toute personne ayant le sens de l’hospitalité (notamment celle qui veut éviter des cadeaux trop caloriques) ? C’est une simple courtoisie. En quoi cela nous aide-t-il à pratiquer la miséricorde ?
Considérer “le choix de la plus petite portion” comme un acte de véritable miséricorde implique de commencer par s’imaginer enfant unique à qui il est demandé pour la première fois de partager son biscuit aux pépites de chocolat avec son petit cousin qui est un véritable casse-pieds. Car au fond, nous sommes tous des enfants uniques. Le monde nous a appris qu’il est juste de recevoir une part équitable, et que nous avons droit à ce que nous recevons. Que prendre ou recevoir moins que ce que nous méritons, signifie que quelqu’un d’autre reçoit plus qu’il ne le devrait, et peut engendrer crises de colère et cris de rage.
C’est là qu’intervient la voix de Jésus. “Et si quelqu’un veut te poursuivre en justice et prendre ta tunique, laisse-lui encore ton manteau”(Matthieu 5, 40-41). Stupide, disons-nous en pleurant, la tête dans le coussin du canapé. Il nous raconte également l’histoire de ces ouvriers qui pour une heure de travail recevaient le même salaire que ceux qui travaillaient huit heures (Matthieu 20, 1-16). Faites grève, crions nous. Jésus nous raconte l’histoire du retour du fils prodigue, qui en dépit du sentiment “d’injustice” du fils aîné (qui aux yeux du monde a tout à fait raison) est fêté par un père plein de Miséricorde, alors qu’il a dissipé son héritage, (Luc 15, 11-32). Reniflant et hoquetant, nous commençons à comprendre le message.
La miséricorde qu’il nous est demandé de pratiquer n’est ni équitable ni méritée, car la Miséricorde de Dieu est prodigieusement généreuse, au point que nous ne pouvons jamais la mériter. Tout est cadeau, tout est grâce.
Chaque fois que nous renonçons à la part la plus grosse, nous honorons la justice, celle du règne de Dieu, où les derniers seront les premiers et où rien de ce que nous avons ne nous sera repris. Cette miséricorde commence avec un biscuit, mais c’est une générosité qui ne connaît pas de limites, un mode de fonctionnement qui bouleverse le monde.