La poésie, cette amie du latin, nous renvoie à Virgile délivrant son Enéide en vers. La poésie, à l’école, pour apprendre des mots un peu plus importants que les autres. La poésie, par ses phrases et ses accents du verbe où la langue se plie aux exigences de l’âme. La poésie enfin, pour déclamer les biens les plus précieux, les amours les plus vrais et rappeler aux siens qu’on voit plus loin que le regard. Et à soi-même aussi.
Dans la tradition catholique, la place accordée à la prière invite à scander nos journées de textes de la Bible, surtout des psaumes dont la forme invite au chant et à la louange. Ils sont en effet mélodieux à réciter, à lire et même à digérer, car la lecture passe aussi par le cœur là où la foi se nourrit. D’autres textes peuvent nous inciter à ce retour sur soi, à la contemplation et nous alimenter. Non pas qu’un poème, ou un vers, vienne remplacer la Parole de Dieu, mais il peut nous aider à mieux y entrer, par d’autres voies peut-être, avec toute la puissance que certains poètes ont su mettre dans leur plume.
Dans la prière, nous venons rarement avec nos trophées, mais bien plus nos faiblesses et celles des autres dans lesquelle nous voyons parfois l’endroit où la brèche du péché est passée. Et si la poésie pouvait nous aider à corriger nos vues ? Le poète sublime, illumine et console, il porte et considère, il détourne de soi et rassemble la communauté des cœurs humains. L’affirmation de Rimbaud : "La poésie ne rythmera plus l’action, elle sera en avant", rappelle la prière dans son intention d’agir par la suite et de ne pas être dans une passivité qui nous priverait de notre liberté. René Char est l’un de ceux qui a placé la poésie au plus haut degré de sens et de substance ; dans son poème qui prend la forme d’un éloge à la fragilité, il souligne aussi l’importance de l’honnêteté :
"J’entrevois le jour où quelques hommes ne se croiront pas généreux et acquittés parce qu’ils auront réussi à chasser l’accablement et la soumission au mal des abords de leurs semblables en même temps qu’ils auront atteint et maîtrisé les puissances de chantage qui de toute part les bravaient, j’entrevois le jour où quelques hommes entreprendront sans ruse le voyage de l’univers. Et comme la fragilité et l’inquiétude s’alimentent de poésie, au retour il sera demandé à ces hauts voyageurs de vouloir bien se souvenir."
À l’instar de Max Jacob, par exemple, qui écrivait :
"Est-ce donc que la grâce ne vient que là où il y a écorchement c’est-à-dire perméabilité ? D’ailleurs, il ne peut y avoir de poésie que là où il y a eu choc, et pour qu’il y ait choc, il faut la perméabilité."
Et pour ne citer qu’eux, Charles Péguy et Pierre Reverdy ont de quoi vous fournir une quantité de mots inspirés, habités.