L’archevêque d’Alep était l’invité jeudi 21 avril de l’association SOS chrétiens d’Orient qui lui a remis un chèque de 150 000 euros destiné à la reconstruction de sa ville martyre.
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Aleteia : Quelle est la situation à Alep ?
Mgr Jean-Clément Jeanbart : La trêve a été interrompue. De violents combats ont eu lieu autour de la ville qui vont causer de nouvelles violences et un nombre croissant de victimes. Certains États ne veulent pas la paix dans les circonstances actuelles et espèrent au contraire que la situation se renverse. Je pense à la Turquie en particulier mais aussi Israël et l’Arabie saoudite. Une solution diplomatique compromettrait leur objectif de voir la Syrie se désintégrer. Les djihadistes sont pris en étau tandis que l’armée est sur le point de les encercler. Les Alepins sentent qu’une grande offensive approchent et sont profondément préoccupés. Approximativement un million de personnes sont encore dans la ville. Pour vous donner une idée, avant la guerre plus de trois millions d’habitants vivaient à Alep. Il est donc terrible de voir cette ville en pleine expansion ainsi démolie…
Malgré tout, peut-on croire en une issue prochaine du conflit ?
Je pense que oui dans le mesure où de nombreuses personnes de l’opposition ont réalisé qu’il était absurde de continuer de s’entretuer. D’un autre côté, l’opposition basée à Ryad (Arabie saoudite, ndlr), la plus réticente aux négociations, a finalement rejoint la table des négociations à Genève. Troisièmement, la conjoncture internationale a considérablement changé, autant pour l’Europe qui subit la menace du terrorisme que pour les États-Unis et la Russie qui s’accordent. On est arrivé à un point où exclure la Russie n’est plus possible, contrairement à ce qu’espérait au départ l’OTAN. Après son intervention et son succès.
Vladimir Poutine se place désormais en grand défenseur des chrétiens d’Orient, ressentez-vous les choses de la même manière ?
Il peut bien se présenter comme il veut ! Mais il faut reconnaître que nous avons été soulagés par l’intervention russe parce qu’elle a éloigné les terroristes les plus fondamentalistes, Daesh et al-Nosra qui sont ceux qui inquiètent le plus les chrétiens. Même les musulmans syriens ne sont pas épargnés par ces islamistes : la majorité des musulmans de Syrie sont modérés, considèrent que la religion est importante au même titre que leur citoyenneté. Dans ce pays, demander à quelqu’un sa religion est presque impoli. Ce qui compte c’est que l’on vive ensemble et que l’on partage une nationalité. Cela ne veut pas dire que la société était parfaite, il y avait beaucoup de réformes importantes, mais sur le plan de la laïcité du moins la situation convenait à tous.
Quelle est votre position vis-à-vis de Bachar el-Assad ?
Notre position est la suivante, vis-à-vis de qui que ce soit : notre avis sera positif dès l’instant où cette personne nous donnera le droit de vivre décemment dans notre pays. Celui qui vient et qui nous garantit ce droit et la liberté d’être nous-mêmes, d’avoir notre religion tout en étant un citoyen avec tous les droits et devoirs que cela comporte, celui-là est le bienvenu. Nous craignons que l’opposition ne soit pas capable de nous donner cet élément indispensable à notre vie dans ce pays qui est le nôtre finalement. Par la force des choses, nous refusons donc la rébellion telle qu’elle se présente. Nous ne refusons pas une opposition modérée, capable de vivre en harmonie avec toutes les différentes populations.
Vous refusez de personnaliser le conflit en quelque sorte ?
Oui car c’est en réalité un conflit entre différentes façons de concevoir la citoyenneté : une identité monolithique et confessionnaliste face à une identité laïque où le citoyen se sent fils de ce pays parce qu’il y est né, qu’il remplit son devoir pour celui-ci, qu’il le sert et veut le bâtir. En parallèle, qu’il soit musulman ou chrétien, l’important est qu’il soit libre. Nous sommes favorables à cette dernière conception des choses et soutiendrons la personne – ou le groupe ou gouvernement – qui nous donnera cela.
Vous avez souvent insisté sur l’indifférence des Occidentaux à la situation syrienne. Le fait que SOS chrétiens d’Orient vous remette aujourd’hui un chèque pour Alep est-il le signe que la situation évolue ?
Oui certainement, ce don est un signe. C’est pour nous une raison de reprendre confiance, d’aller de l’avant. Nous réalisons qu’il y a des personnes intelligentes au sein d’une société évoluée qui nous comprennent et qui veulent nous aider à rester dans notre pays. Parce que, à titre personnel, ma lutte et mon engagement sont que les chrétiens restent en Syrie.
La politique de la France envers la Syrie vous a-t-elle déçu ces dernières années ?
Oui parce que nous aimons la France et que c’est un pays que nous considérions comme ami. Nous avons passé beaucoup d’années à étudier la langue, la culture, la littérature et l’Histoire de votre pays. Nous sommes d’une certaine manière des enfants de France. Vous comprenez alors que cela nous déconcerte de la voir nous délaisser comme cela parce que nous ne sommes pas assez riches à ses yeux, elle à qui nous avons donné notre cœur et pour laquelle nous avons tout tenté pour la faire aimer de nos concitoyens.
Qu’aurait dû faire le gouvernement français selon vous ?
Ne pas soutenir la rébellion armée. S’il n’y avait pas eu d’opposition armée, nous aurions fait partie de l’opposition ! Il fallait faire un effort pour améliorer ce qui existait et non pas soutenir ceux qui détruisent tout.
Les relations tendent à s’améliorer ?
Oui sans aucun doute, beaucoup de sénateurs, de députés ont visité dernièrement la Syrie et commencent maintenant à revenir sur leur position initiale. On sent qu’il y a davantage de discrétion dans les déclarations et moins d’agressivité.
Comment percevez-vous l’initiative du pape François de ramener des musulmans avec lui jusqu’au Vatican ?
C’est une très bonne chose ! C’est un signe envoyé aux musulmans que les chrétiens les aiment et c’est un fait, nous les aimons et ne leur voulons que du bien. Mais il faut qu’ils nous aiment aussi et qu’ils n’aient pas peur de nous. Il ne faut pas interpréter d’une mauvaise façon le geste du Pape et croire qu’il encourage les Syriens à quitter leur pays, je suis sûr que ce n’est pas ce qu’il souhaite. Cela me plaît que François sème un peu de doute sur son action, qu’il veuille n’être que Miséricorde et non pas un instrument politique. Tout comme lorsque le Saint-Père invite chaque paroisse à accueillir une famille. Il n’a pas dit que tous les Syriens devaient aller vivre en France mais seulement que ceux qui étaient déjà sur place, désemparés, puissent être accueillis. Il y a une grande différence entre “Accueillez-les tous” et “Soutenez une famille dans la détresse”.
Quel message souhaitez-vous passer aux donateurs français ?
Je n’ai qu’un message : il faut que nous aidions les chrétiens à rester en Syrie. L’Église de Syrie est une relique. Elle est née quelques jours seulement après la Pentecôte, la diaspora juive de Syrie s’étant rendue à Jérusalem pour le pèlerinage traditionnel ; les épitres parlent de milliers de pèlerins et 3 000 de ces juifs se sont fait baptiser avant de rentrer dans leur pays. C’est comme ça que Saul a été envoyé à Damas pour chasser les “Nazaréens” tels que l’on les appelait alors. Le Seigneur l’a arrêté puis converti, et c’est l’Église de Syrie qui l’a guéri de sa cécité, l’a ordonné prêtre et envoyé évangéliser. Cela vous donne une idée de l’importance des chrétiens de Syrie. Ce pays est historiquement chrétien, de nombreux musulmans de Syrie ayant été convertis par l’Empire ottoman. Des milliers de saints ont vu le jour ici et des millions de martyrs y ont donné leur vie ! Celui qui sait tout cela ne peut pas admettre leur disparition. La présence des chrétiens est un signe de la pérennité de l’Église.
Propos recueillis par Arthur Herlin