Pour la première fois, dans un entretien avec le théologien jésuite Jacques Servais, le pape émérite apporte son soutien explicite à la “ligne” pastorale du pape François.
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“Seule la miséricorde peut mettre fin à la cruauté, au mal et à la violence” disait Jean Paul II, et le pape François suit cette ligne en nous parlant continuellement de “miséricorde”, souligne Benoît XVI dans un entretien avec le théologien jésuite Jacques Servais, figurant dans un ouvrage paru en Italie le 16 mars. Titre de l’ouvrage : Per mezzo della fede. Dottrina della giustificazione ed esperienza di Dio nella predicazione della Chiesa ( Par la foi. Doctrine de la justification et expérience de Dieu dans la prédication de l’Eglise ) aux Editions Saint-Paul. Le pape est interrogé sur “ce qu’est la foi et comment on arrive à croire”, dans le cadre d’un congrès théologique organisé à Rome en octobre 2015. Les propos de son interview ont été lus par Mgr Georg Gänswein, son secrétaire particulier et préfet de la Maison pontificale. Pour Benoît XVI, “l’idée d’une miséricorde de plus en plus centrale et dominante” est “un signe des temps”.
« L’Église ne s’est pas faite toute seule »
Dans cet entretien, le pape émérite revient sur ce qu’est l’Église, qui ne s’est pas faite toute seule, et donc sur la foi et les raisons qui amènent à croire. D’un côté, explique-t-il, la foi est un contact profondément personnel avec Dieu, qui me touche au plus profond de mon intimité et me met face à Lui, en situation de proximité absolue, de manière à ce que je puisse lui parler, l’aimer et entrer en communion avec Lui. Mais cette réalité, extrêmement personnelle, montre en même temps des liens inséparables avec la communauté: m’introduire dans le “nous” des enfants de Dieu, dans une communauté de frères et sœurs, fait partie de l’essence de la foi. La foi dérive de l’écoute (fides ex auditu), nous dit saint Paul. L’écoute à son tour implique toujours un partenaire. La foi n’est pas le produit d’une réflexion ni même la réponse à une envie de pénétrer les profondeurs de mon être. Il peut y avoir les deux, mais cela reste insuffisant. Il faut cette écoute dont Dieu se sert, extérieurement, à partir d’une histoire créée par Lui, pour m’interpeler. Pour “croire j’ai besoin de témoins qui ont rencontré Dieu et me le rendent accessibles”.
“L’Église ne s’est pas faite toute seule – insiste Benoît XVI – C’est Dieu qui l’a créée et ne cesse de la former. Et cela se reflète dans les sacrements, tout d’abord dans celui du baptême: j’entre déjà dans l’Église par le biais d’un sacrement et non de la bureaucratie. Autrement dit, je suis accueilli dans une communauté qui n’est pas née toute seule et se projette au-delà d’elle-même. La pastorale qui entend former l’expérience spirituelle des fidèles doit partir de ces éléments fondamentaux. Il faut abandonner l’idée d’une Église qui se produit elle-même, faire ressortir l’image d’une Église qui devient “communauté” dans la communion du corps de Jésus. La pastorale doit initier à la rencontre avec le Christ, conduire l’homme à reconnaître sa présence dans le sacrement”.
La miséricorde, une grâce pour notre temps
Puis le pape émérite a répondu à une question sur la centralité de la miséricorde. “L’homme moderne, d’une manière générale, a la sensation que Dieu ne peut laisser aller à la perdition une grande partie de l’humanité. A cet égard, s’inquiéter pour le salut, qui était typique à une certaine époque, n’existe pour ainsi dire plus. Toutefois, il me semble que la perception de ce besoin de grâce et de pardon, existe toujours mais autrement. Pour moi l’idée que la miséricorde devienne de plus en plus centrale et dominante est un signe des temps – parti de sœur Faustine, dont les visions, sous divers aspect, reflètent profondément l’image que l’homme moderne se fait de Dieu et son désir de bonté divine .
De Jean Paul II
“Jean Paul II – poursuit Benoît XVI – avait cette impulsion, il en était même fortement imprégné. Et ce n’est certainement pas un hasard si son dernier livre, sorti juste avant sa mort, parle de la miséricorde de Dieu. Partant d’expériences où, dès les premières années de sa vie il put constater la grande cruauté des hommes, il affirme que la miséricorde est la seule et unique vraie réaction efficace contre la force du mal. Seule la miséricorde peut mettre fin à la cruauté, au mal et à la violence “.
… Au Pape François
Benoît XVI cite alors son successeur : “Le pape François se trouve tout à fait en accord avec cette ligne pastorale. Il la suit en nous parlant continuellement de la miséricorde de Dieu. C’est elle qui nous pousse vers Dieu, alors que nous avons peur de la justice devant Lui. À mon avis cela montre que l’homme moderne, sous cette patine de sûreté de soi et de justice personnelle, cache une profonde connaissance de ses blessures et de son indignité face à Dieu. Il est en attente de miséricorde. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si la parabole du bon samaritain attire tant de nos contemporains. Ils aiment cette parabole parce que l’aspect social de l’existence chrétienne y est fortement souligné, mais aussi parce que le samaritain, l’homme non religieux, à l’égard des représentants de la religion, apparaît, pour ainsi dire, sous les traits de celui qui agit de manière vraiment conforme à Dieu, alors que les représentants officiels de la religion sont comme “ immunisés” à la face de Dieu”.
“Bien sûr, cela plait à l’homme moderne – relève encore Benoît XVI – Mais je trouve tout aussi important que les hommes, dans leur for intérieur, attendent que le samaritain vienne à leur secours, qu’il se penche sur eux, verse de l’huile sur leurs blessures, prenne soin d’eux et les mette à l’abri. Au fond, ils savent qu’ils ont besoin de la miséricorde de Dieu et de sa délicatesse. Dans un monde dur, de plus en plus technique, où les sentiments ne comptent plus rien, l’attente d’un amour salvifique, donné gratuitement, se fait plus intense”.