Natif de Bagdad, aujourd’hui curé de la communauté chaldéenne de Lyon, le père dominicain Muhannad Al-Tawil rentre d’Irak.
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Le père Muhannad Al-Tawil, Irakien de 42 ans, a été profondément marqué par l’abandon de la population par la communauté internationale et par la profonde désespérance dans laquelle celle-ci est plongée.
Aleteia : L’aide internationale continue-t-elle d’arriver en Irak ?
Père Muhannad Al-Tawil : Aucune ! Lorsque le sort des réfugiés chrétiens et yézidis a fait la une des médias, la communauté internationale a affrété quelques avions mais maintenant que les caméras ne sont plus là, cette aide s’est arrêtée. Sans l’Église, l’Irak aurait connu une crise humanitaire majeure. C’est la seule institution qui a véritablement agi depuis décembre 2014. Elle n’y était bien entendu pas préparée mais c’est elle qui a nourri les réfugiés, leur a donné de quoi se vêtir, se protéger du froid… Grâce à l’Église, les réfugiés ont conservé leur dignité.
Aujourd’hui, les ONG chrétiennes (Caritas, L’Œuvre d’Orient, Aide à l’Église en Détresse…) continuent d’œuvrer pour améliorer les conditions des réfugiés. De tous les réfugiés, car les écoles ou les lieux de soins que ces ONG chrétiennes financent bénéficient aussi bien aux chrétiens, qu’aux musulmans ou yézidis déplacés.
Vous vous étiez déjà rendu en Irak en décembre 2014. Comment la situation a-t-elle évoluée ?
J’ai été frappé par le profond désespoir dans lequel sont plongés aujourd’hui les réfugiés. Ils attendent depuis si longtemps la libération de leur région ! Face à eux, ils voient leur pays, l’Irak, toujours plongé dans une grave crise politique, des responsables religieux musulmans qui se contentent de condamner les exactions de l’État islamique et, enfin, ils constatent que la communauté internationale n’a pas tenu sa promesse de libérer la plaine de Ninive rapidement.
Pour ces raisons, un nombre croissant de réfugiés ne voient plus leur avenir en Irak. Dans leurs caravanes de fortune, ils se taisent mais beaucoup projettent de partir. J’ai eu la confirmation par des religieuses qui vivent dans un de ces camps qu’après Pâques, lorsque la mer sera plus calme, une cinquantaine de familles vont tenter de rejoindre l’Europe. Cinquante familles pour un seul camp !
Ils ont parfaitement conscience des dangers auxquels ils s’exposent. Récemment, une famille de Qaraqosh composée de sept personnes a péri noyée. Mais ils disent : “De toute façon, nous sommes déjà morts !”.
Si la plaine de Ninive venait à être libérée, pensez-vous qu’il sera facile pour ces personnes déplacées de renouer avec leur quotidien ?
Je pense que ce sera extrêmement difficile et ne pourra se faire qu’à l’échelle de plusieurs générations. Car il ne faut pas se mentir : la majorité des habitants de la plaine de Ninive et de Mossoul était favorable au départ des chrétiens et est satisfaite de l’arrivée de l’État islamique. Certains s’y sont aussi opposés au péril de leur vie mais il s’agit d’une minorité.
Dans les camps, certains réfugiés nous ont ainsi expliqué être nargués par leurs anciens voisins. Ils les appellent pour leur dire : “Je suis chez toi en train de prendre ton four, ton frigo” ou alors : “Je vais aller vendre ton tracteur à Mossoul. Il est bien ton tracteur !”. Tous ces événements font que la plupart des chrétiens d’Irak ne voient plus leur avenir ici et ont le regard tourné vers l’Occident. La confiance est durablement entamée.
Pire, la jeune génération a perdu tout attachement à cette terre d’Irak. À quoi cela sert d’être Irakien, se demandent-ils ? Moi-même, je suis né en Irak, j’ai enseigné les mathématiques en Irak, j’y ai fait mon service militaire… Aujourd’hui, je vis en France et ai été naturalisé Français. Malgré cela, pour aller rendre visite à mes parents qui vivent eux aux États-Unis, je dois aller passer un entretien à l’ambassade américaine à Paris parce que je suis Irakien de naissance. L’Irak nous poursuit partout, toujours pour le malheur.
Propos recueillis par Benjamin Coste