Les données géopolitiques sont nombreuses mais déjà identifiables…
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- Quelle politique envers les anciens membres de Daesh ?
Ceux des terroristes qui ne pourront rentrer formeront – comme Al-Qaïda en son temps – des brigades de combattants apatrides, obsédés du djihad, et passeront d’un théâtre à l’autre. Dans cette perspective, on peut craindre un renforcement des groupes terroristes au Sahel, en Libye, en Afghanistan. Face à de tels risques, les organisations internationales et les gouvernements auront à envisager l’hypothèse d’amnisties, afin d’offrir une voie de sortie honorable aux “daeshistes” les moins compromis. Ces amnisties pourront être décidées par les gouvernements nationaux, et validées ensuite par la justice internationale.
À partir de quels modèles peut-on suggérer ces amnisties ? L’Histoire récente nous en fournis deux : le modèle étatique algérien de 2005 et le modèle rwandais des années 1996-1998. Dans le premier cas, l’État désarme les combattants, assure leur procès et une sanction forte, tout en leur offrant la vie sauve. Ce modèle autoritaire se fonde sur la crainte. Dans le cas de la Syrie et de l’Irak, l’État a été trop perçu comme oppressif pour reproduire le modèle algérien. Le modèle rwandais est double : il part du bas, c’est-à-dire des communautés villageoises qui réconcilient les génocidaires avec lesquels les victimes vivent au quotidien ; il s’accompagne de procès contre les organisateurs du génocide, justice assurée de l’extérieur par un tribunal pénal international. Dans le cas de la Syrie et de l’Irak, la dimension communautaire de la réconciliation semble une voie conforme aux structures sociales, mais l’ingérence de la justice internationale serait trop mal perçue pour être reproduite.
Concernant la Syrie et l’Irak, les processus de déradicalisation, souvent envisagés en Europe, semblent coûteux et peu efficaces. Au contraire, en respectant les mentalités locales, les axes de réintégration des simples combattants arrêtés pourraient consister en une condamnation symbolique, un retour rapide dans les villages d’origine, où la communauté locale serait garante auprès de l’État de la réintégration professionnelle, religieuse et politique de la personne.
Dans le cas des combattants étrangers, la question est différente : le djihadisme international aggrave la violence des mouvements terroristes, la déconnexion entre les étrangers et le contexte local dans lequel ils se battent démultiplie l’ultra-violence et le sentiment d’impunité. Que faire de ces individus hors de contrôle ? En les renvoyant dans leur pays d’origine (Maghreb, Asie centrale), et en les laissant à la justice de celui-ci, le monde peut être assuré qu’ils seront mis hors d’état de nuire. Mais pour tous ceux qui viennent d’Europe ? Quelle peine exemplaire leur sera réservée ?
- Quelles sont les données du Moyen-Orient “post-Daesh” ?
La fin de Daesh ne signera pas la fin de l’instabilité dans la région dès lors que les causes profondes qui ont créé l’organisation ne seront pas traitées. En effet, l’État islamique s’est nourri de phénomènes géopolitiques connus et anciens. Il est à craindre que les problèmes non traités après les opérations militaires réapparaissent sous une autre forme.
Les données géopolitiques identifiables accompagnant l’après-Daesh sont, de toute évidence au nombre de cinq :
1- Le départ de Bachar el-Assad, sous forme violente ou négociée, est probable. Sous forme violente, il conduira à des débordements contre la minorité alaouite déjà saignée par la guerre. Sous forme négociée, il peut permettre une stabilisation, à condition que le président sorte par le haut, et ses soutiens avec lui.
2- Le ressentiment chez les Arabes sunnites, victimes de la sidération collective liée à Daesh et à leur position de victimes permanentes (bombardements massifs russes, exactions d’el-Assad, frappes occidentales…). Ils soutiendront tout mouvement leur redonnant une place, soit dans les frontières de leur État, soit dans un nouveau cadre institutionnel.
3- Le rôle des Kurdes sera accru dans toute la région, dégénérant sur un conflit de longue durée avec la Turquie, mais aussi avec les Arabes sunnites, notamment dans la plaine de Ninive, sur les frontières du Kurdistan irakien et dans le Rojava (territoires kurdes de Syrie). Des formes de nettoyage ethnique se sont déjà produites et sont à craindre.
4- Le rôle accru des milices chiites dans la vie politique irakienne, à la manière du Hezbollah libanais. Ces milices, si elles s’unissent, pourront aggraver les tensions entre Bagdad et Riyad.
5- L’avenir des chrétiens d’Orient est hypothéqué.
- Les crises potentielles du Moyen-Orient “post-Daesh”
Les crises les plus probables qui accompagneront la nouvelle configuration politique post-Daesh peuvent être évoquées à travers deux scénarios, forcément caricaturaux.
Scénario n° 1 : Les Kurdes en Irak et Syrie, et le gouvernement chiite irakien sortent grands vainqueurs de la conflagration, tandis que les sunnites irakiens sont stigmatisés pour avoir collaboré avec l’organisation terroriste, tout comme une partie des sunnites syriens qui, en outre, ont vécu le drame de l’exil. Dans la plaine de Ninive, la vallée du Tigre et autour de Hassaka, les rétorsions se multiplient, qu’elles soient menées par les Kurdes (occurrences limitées) ou les milices chiites (plus fréquent, exécutions sommaires, destruction de maisons). La Turquie et la Syrie s’affrontent pour le contrôle du Rojava, qui a gagné son autonomie. Pourtant, les deux entités étatiques irakienne et syrienne se maintiennent. La Russie et l’Iran sont désormais les puissances les plus influentes en Syrie, tandis qu’une concurrence grandit en Irak entre Washington et Téhéran.
Scénario n° 2 : La balkanisation est en cours, comme en 1925, mais échappe totalement aux anciens projets de Grand Moyen-Orient des États-Unis. La partition a permis à la France et aux États-Unis de revenir en force dans la région, notamment dans les États kurdes. L’influence des États salafistes n’a jamais été aussi forte dans les zones sunnites, dont ils assurent la reconstruction. Les tensions entre Kurdes (Rojava, Kurdistan) et Turcs sont fortes. Les espaces sunnites irako-syriens – autrefois associés dans l’Histoire – cherchent à s’unifier, mais la définition des frontières ne cesse de poser des problèmes internationaux. Cette balkanisation met la région dans les mains des puissances extérieures, qu’elles soient mondiales (Russie, États-Unis, France) ou régionales (Arabie Saoudite, Iran, Turquie).
- La question du positionnement américain
Mais l’avenir en Syrie et en Irak ne pourra se faire sans les États-Unis, malgré l’omniprésence russe depuis août 2015. Or, le 15 novembre 2015, l’Institute for the Study of War, le principal think-tank universitaire américain appuyant par ses rapports la politique des États-Unis au Moyen-Orient, publiait les éléments pour une nouvelle stratégie américaine dans la région.
Le document fait preuve d’un certain réalisme concernant l’avenir, notamment à l’égard des Kurdes :
Ne pas se fier aux forces kurdes pour une reprise rapide au-delà de leur frontière ethnique (…).
Mais d’autres passages indiquent que les États-Unis se préparent, après la prochaine élection présidentielle, à des tactiques militaires dures, proches de celles des Russes, ne pouvant qu’accentuer les traumatismes des populations et l’échec de la paix :
Il faut cesser de prendre des gants contre l’EI en Irak et Syrie, ajuster les règles d’engagement pour accepter le risque de dommages collatéraux, frapper toutes les cibles de l’EI qui sont sur nos listes, et faire un maximum de dommages possible par les airs et rapidement (…).
Si ce think-tank – qui n’est pas un institut de recherche neutre – parvient à influencer la campagne électorale américaine, une crise est déjà à craindre avec la Russie :
Il faut tout faire pour retirer le régime d’Assad du pouvoir, et pas seulement Assad (…). Il faut rejeter les Russes de Syrie.
États-Unis et Russie ont donc déjà basculé dans le monde “post-Daesh”, un monde qui s’annonce sans pitié pour les populations du Moyen-Orient et guère enthousiasmant sur le plan des libertés. En revanche, dans cette reconfiguration dramatique, la France a de toute évidence un rôle à jouer comme puissance intermédiaire et relais diplomatique.