Que veut vraiment la Russie ? Telle est l’éternelle interrogation pour tous les analystes du monde. Et qu’avons-nous à voir avec cela, nous les catholiques ?En décembre 2013, le journal britannique The Telegraph observait que le président russe Vladimir Poutine avait “lancé la Russie en position d’arbitre moral du monde” lors de son discours annuel sur l’état de la nation, à la tonalité résolument conservatrice :
“Poutine a défendu les valeurs de plus en plus conservatrices de son gouvernement et déploré la “révision des normes morales et éthiques” en Occident et dans d’autres parties du monde. “Cette destruction des grandes valeurs traditionnelles, avait-il déclaré, n’entraîne pas seulement des conséquences négatives pour la société ; elle est aussi intrinsèquement anti-démocratique (…) et va à l’encontre de la volonté de la majorité populaire” ; ajoutant que la société ne peut tirer aucun avantage quand on met sur le même plan “le bien et le mal” (…) Et le président russe de conclure : “Les valeurs traditionnelles sont un rempart contre cette tolérance – asexuée et stérile”.”
“Un nouveau leadership moral russe”
En février de la même année, Poutine avait appelé à une influence accrue de l’Église orthodoxe dans le pays ; il avait conduit la Russie à résister à la progression de l’agenda “gay”, en interdisant la “publicité des relations sexuelles non traditionnelles” pour mineurs. Toujours en 2013, en novembre, il avait rendu visite au pape François au Vatican et, aux côtés du Souverain Pontife, avait embrassé une icône de la Vierge. À l’époque, cette rencontre avait été ainsi commentée sur les réseaux sociaux :
“Si, en 1959, vous aviez dit à un catholique (ou toute autre personne) que le président russe embrasserait une image de la Vierge Marie aux côtés du Pape, tandis que le président américain soutiendrait l’avortement, ignorerait l’ambassade du Vatican, lancerait des avions sans pilotes comme armes de guerre, envahirait la vie privée des personnes et espionnerait les dirigeants étrangers, ce catholique (ou toute autre personne) aurait trouvé que vous avez fumé quelque chose de très, très fort !”
Mais tous n’accueillent pas sans méfiance ce “nouveau leadership moral” de Vladimir Poutine : “Poutine va faire ou dire n’importe quoi pour promouvoir la Russie et son propre pouvoir. La Russie n’est pas la boussole morale de mon pays, sans parler de celle du monde”, tempère Anthony Esolen, professeur de littérature au Providence College, États-Unis).
Même en prenant du recul, tout le monde ne condamne pas ce “nouveau leadership moral” de Poutine : “Il faut se méfier de l’utilisation que fait Poutine de l’Église russe pour soutenir son régime, qui est très imparfait, basé sur le capitalisme de copinage et sur des tactiques autoritaires. Néanmoins, même ainsi, les politiques de Poutine sont bien plus alignées sur la loi naturelle que les politiques du gouvernement Obama (…)”, souligne pour sa part l’écrivain américain, John Zmirak. Et John Bergsma, professeur de Théologie, Université franciscaine de Steubenville aux États-Unis, de résumer :
“Côté positif : la Russie s’est faite l’alliée des ONG pro-famille à l’ONU, elle est l’un des rares pays développés agissant contre la “gauche sexuelle”, qui consacre l’homosexualité comme un droit de l’homme (…). D’un autre côté, le gouvernement russe souffre de la corruption à des niveaux élevés, ne protège pas toujours les droits de l’homme (…) et la structure familiale russe n’a pas encore été rétablie après des décennies de matérialisme athée forcé. (…) L’accès à l’avortement est facile, les taux d’avortement et de divorce sont encore très supérieurs à ceux des États-Unis, les unions matrimoniales ne sont pas généralisées et sont de courte durée. Par une ironie du sort, Poutine a divorcé au début de cette année. En même temps, le parti du gouvernement russe perçoit la nécessité d’un retour à des lois pro-famille traditionnelle ; il reste à la nation un long chemin à parcourir avant de devenir une société idéale.”
Toutes ces considérations sont à prendre en compte pour cerner dans le contexte actuel le façon dont se déploie le “leadership moral russe” dans le monde.
Les trois scénarios possibles
Aujourd’hui, il existe donc trois moyens principaux par lesquels la Russie impose ce leadership moral, ou du moins une “influence politico-militaire mêlée à des éléments de morale” :
- La division de l’Ukraine, où persistent les conflits et où la Russie affirme qu’elle se borne à soutenir le droit des Ukrainiens de l’Est à s’unir politiquement à la Russie dont ils se considèrent les enfants par la culture ;
- La Syrie, où les Russes combattent l’État islamique en se positionnant en faveur du régime de Bachar el-Assad, qu’ils considèrent légitime et qui serait, selon eux, victime des intérêts des États-Unis et de ses alliés préoccupés non pas de la légalité, mais de pétrole ;
- Et l’expasion de l’Église orthodoxe, dont la direction est accusée, depuis des décennies, d’asservissement au régime soviétique et, après la chute du communisme, aux intérêts politiques du Kremlin.
Telles sont les diverses faces des multiples monnaies – russes et non russes – dont il faut tenir compte dans la “comptabilité” complexe du contexte moral actuel de l’humanité, avec toutes les conséquences qu’on peut en attendre : sociales, politiques, économiques et… religieuses.
Elton Chitolina est philosophe, membre du Centro de Estudios Catolicos et contributeur régulier d’Aleteia Brésil.