“C’est par la dénonciation et non le silence complice que l’Église sera sauvée.” Mgr Scicluna, ancien promoteur de justice au Vatican, a assisté à l’avant-première du film en Italie.
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Le film Spotlight sur l’affaire des prêtres pédophiles qui a bouleversé l’Amérique au début des années 2000, est en salle en France depuis la fin janvier. Pour la première fois, un haut responsable du Saint-Siège rompt le silence en s’exprimant à l’occasion de sa sortie en Italie cette semaine. Il s’agit de Mgr Charles Scicluna, qui était à la Congrégation pour la doctrine de la foi au moment des faits rapportés dans le film, bien connu pour son rôle dans la lutte contre la pédophilie dans l’Église.
Connu pour ses prises de position contre “le déni, l’indifférence ou l’omerta” face aux agissements de prêtres pédophiles, Mgr Scicluna n’a pas hésité à briser le lourd silence qui a suivi la vision du film : alors que “le générique défilait” et que “personne ne se levait”, rapporte le Sismografo en citant le journaliste italien de La Repubblica Paolo Rodari, l’archevêque de Malte, autrefois “promoteur de justice” au Vatican, s’est levé et a pris la parole : “Il faut que tous les évêques et cardinaux aillent voir ce film, car ils doivent comprendre que c’est par la dénonciation et non le silence complice que l’Église sera sauvée”. Présent également dans la salle, Anthony Randazzo, un prêtre australien qui travaillait à l’époque à la congrégation pour la doctrine de la foi. Tous deux se souviennent de tous les noms cités dans le film.
Un film aussi contre l’omerta
Spotlight revient sur les pas des journalistes du Boston Globe qui ont mené l’enquête (à l’été 2001) et inspiré le film. Walter V. Robinson et Mike Rezendes sont incarnés à l’écran par Michael Keaton et Mark Ruffalo. En 2002, la rédaction américaine a publié 600 articles sur cette affaire. Grâce à l’enquête, 249 prêtres furent accusés publiquement. En 2008, le nombre des victimes s’élevait à près de 1 500. Interrogé sur ces chiffres, Mgr Scicluna reconnaît bien entendu qu’ils sont “impressionnants”, mais ce qu’il ressort dans ce film et qui le touche tout particulièrement se résume en un seul mot : “omerta” ou silence complice en français. Le film, souligne-t-il, “montre à quel point l’instinct de protéger la bonne réputation était hélas présent dans l’Église, et qu’elle était une grosse erreur. Il n’y a pas de miséricorde sans justice”.
Au milieu du film, une phrase très significative a retenu l’attention de Mgr Scicluna, quand Walter Robinson dit : “Il faut un village entier pour faire grandir un enfant, et un village entier pour abuser du même enfant”. “En gros, explique le prélat, on comprend que ces crimes n’auraient pu avoir lieu sans complicité. L’enfant subit les abus d’un adulte, dans ce cas un prêtre, c’est certain. Mais les autres, ceux qui savent et ne parlent pas, sont aussi coupables. Et des complicités, dans les affaires de Boston – où selon les enquêteurs 6% des prêtres ont abusé d’enfants – il y en a eu, même chez les journalistes”, comme le révèle dans le film une scène où l’on voit le Boston Globe, dix ans avant les faits, entrer en crise après avoir eu connaissance d’abus commis par le père James Porter. La nouvelle a fini en note de bas de page sur les pages locales, et sur décision de… Walter Robinson lui-même !
Les souffrances de Benoît XVI
L’enquête du quotidien américain est sortie le 6 janvier 2002. Mgr Scicluna venait juste d’arriver à la Congrégation pour la doctrine de la foi, et Jean Paul II avait pris une série de mesures quant à la procédure à suivre en cas de graves délits. Mgr Scicluna se souvient : l’Église entrait dans une nouvelle ère. “Quatre mois après la sortie du Globe, le Saint-Père avait convoqué tous les cardinaux américains et leur avait dit : “Chacun doit savoir qu’il n’y a pas de place dans le sacerdoce et dans la vie religieuse pour quiconque pourrait faire du mal aux jeunes””.
Et à ceux qui accusent Benoît XVI d’avoir couvert par la suite certaines affaires, Mgr Scicluna s’insurge aussi durement qu’il dénonce : “Ces accusations sont totalement injustes, infondées (…). C’est lui, le premier, alors qu’il était cardinal, qui nous a dit de ne pas voir ces abus comme un simple péché, mais comme un délit, un crime (…). Tout le monde voyait bien qu’il souffrait, il en perdait même ses mots… Il était indigné et profondément touché… Comment oublier ce fameux chemin de croix en 2005 au cours duquel il dénonça la saleté présente dans l’Église”.