L’abbé maronite Marcel Abi-Khalil demande un soutien moral, politique et matériel pour la minorité chrétienne. Sur la question syrienne : “Les bombes ne résoudront rien !”
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“N’oubliez pas les chrétiens du Moyen Orient. Leur présence, Église d’Occident, doit être au coeur de vos préoccupations !” L’abbé maronite Marcel Abi-Khalil est plein d’inquiétude pour son pays, le Liban, et très inquiet aussi pour tout le Moyen Orient où, comme ne cesse de rappeler le pape François, les chrétiens sont persécutés pour leur foi, et risquent de disparaître à jamais. Or, la foi est venue d’Orient, rappelle-t-il. Il est donc inconcevable de se résigner à cette image d’un Orient vide de ses chrétiens : “Il nous faut vivre avec les musulmans, vivre avec eux pour témoigner, pour leur faire connaître Jésus Christ”, ajoute-t-il.
La mère de tous les problèmes, la question syrienne…
Pour Marcel Abi-Khalil, la guerre en Syrie a ravagé le Liban, la Turquie, la Jordanie et l’Irak. Chaque jour, raconte-t-il, c’est un va-et-vient de réfugiés. Mais tant qu’on n’aura pas de paix en Syrie, l’Orient sera à feu et à sang. “Il faut une entente entre les parties”, insiste l’abbé. Car, pour lui, il est clair que les solutions militaires ne servent à rien : “Les bombes ne peuvent résoudre les problèmes. Les gens meurent. Ne soyons pas aveugles : quel avenir avons-nous ? Qu’est-il arrivé en Irak et en Libye après la guerre ? Anarchie et destruction, c’est tout ! Et la même chose peut arriver en Syrie. Les 164 États qui sont contre Daesh n’ont rien fait. Les populations meurent de faim. Les États lui font la guerre en envoyant des armes, l’Arabie saoudite (anti régime de Bashar el-Assad) et l’Iran (pro régime). La paix oblige à reconstruire et à donner un peu de justice aux minorités : les sunnites sont 80%, les chrétiens 10% et les Alawites, qui craignent de nouveaux actes de vengeance, 10%”.
… sous-estimée par l’Europe et l’Amérique
L’Europe et l’Amérique sous-estiment le problème, “sans compter la récente intervention de Poutine qui veut lui aussi avoir son mot à dire sur la question”, relève l’abbé maronite, et tous ces jeunes européens qui entrent dans le conflit, attirés par le djihad. Pour l’abbé il n’y a qu’une seule voie possible contre ça : “Montrer ce qu’est le christianisme – tolérance, bonté, amitié, respect mutuel – (…) car beaucoup ont une fausse image du christianisme (…) ; les musulmans ont peur des croisades, mais aucune guerre sainte n’est en cours. Ce qui prévaut pour le moment c’est plutôt le contrôle du pétrole et de la Méditerranée”.
Une zone protégée pour les chrétiens
À 86 ans, Marcel Abi-Khalil est reparti faire le curé de paroisse à Deir al-Qamar (“Couvent de la lune”), l’ancienne capitale du Liban. Sept religieux y habitent (trois pour la paroisse et quatre pour le couvent) avec une école accueillant des enfants entre 3 et 18 ans. L’abbé entretient depuis longtemps d’étroites relations avec des familles en Italie qui, grâce aux adoptions à distance, assurent une instruction aux enfants les plus pauvres. Le pays, qui compte quatre millions d’habitants, accueille 1,5 million de réfugiés syriens, 500 000 palestiniens et des milliers d’irakiens chrétiens. “Nous sommes un peuple très accueillant. L’Église et l’État font leur possible pour les aider, mais nous avons beaucoup de difficultés.”
Les Nations unies envoient des aides mais cela ne suffit pas. On craint que les réfugiés ne puissent retourner en Syrie, c’est leur grande inquiétude. “L’Église demande de créer une zone protégée dans leur pays. Les chrétiens d’Irak se préparent à gagner le nord de l’Europe : qui reste-t-il ? L’Irak est vide, la Syrie aussi, le Liban connaitra-t-il le même sort ? C’est pourquoi nous disons d’aider ces réfugiés au Liban et en Irak, de ne pas les emmener en Europe : on a besoin de votre soutien politique, moral et matériel.”
Au Liban, musulmans et chrétiens soudés
Au Pays des cèdres, deux grands blocs politiques s’opposent : le bloc du 8 mars (Hezbollah et une partie des chrétiens et des druzes à l’écoute de l’Iran) et le bloc du 14 mars (sunnites, chrétiens, druses sous les directives de l’Arabie Saoudite). L’Arabie Saoudite et l’Iran ne sont pas d’accord et le Liban est toujours sans nouveau président de la République : 33 séances parlementaires (18 mois) sans issue. Le patriarche, tous les dimanches, appelle le parlement (fermé) à élire le président, en leur disant à chaque fois qu’ “un corps ne peut vivre sans tête”. Malgré cette situation, l’armée arrive à défendre ses frontières des attaques de Daesh.
“L’Europe et les États-Unis ne veulent pas que le Liban disparaisse car, ici, musulmans et chrétiens s’entendent, offrant au monde un modèle positif. Les tensions viennent des djihadistes entrés comme réfugiés”, affirme l’abbé maronite. L’Église au Moyen-Orient, poursuit-il, ne revendique que l’égalité au niveau des droits. Les musulmans aussi admirent le pape François, ils l’appellent le “Pape des pauvres”. Ici, tout le monde célèbre le 25 mars : écoles et bureaux sont fermés, musulmans et chrétiens chantent des hymnes en l’honneur de la Vierge, vont au sanctuaire marial d’Harissa et rendre visite aux saints libanais.”
Pendant des années, cette terre a été un lieu fertile pour le dialogue interreligieux mais également pour l’œcuménisme. Le père Abi-Khalil : “Nous avons 12 communautés chrétiennes (six catholiques et six orthodoxes). On s’entend très bien et nous tenons le même langage de paix et de justice. Nous disons : il faut témoigner Jésus Christ et nous voulons vivre avec les musulmans. Le danger arrive de l’extérieur. Pas de divisions internes, cela ne sert à rien”.