Nous vous révélons en avant-première quatre extraits du livre-interview du pape François, “Le nom de Dieu est miséricorde”, en librairie ce mardi 12 janvier.
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Je peux lire ma vie à travers le chapitre 16 du livre du prophète Ezéchiel. Je lis ces pages et je me dis : “Mais tout cela semble écrit pour moi !”. Le prophète parle de la honte, et la honte est une grâce : quand on ressent la Miséricorde de Dieu, on éprouve une grande honte de soi-même, de son propre péché. Un grand érudit de la spiritualité, le père Gaston Fessard, a consacré à la honte un bel essai dans son livre La Dialectique des “Exercices spirituels” de saint Ignace de Loyola. La honte est une des grâces que saint Ignace fait demander dans la confession des péchés devant le Christ en croix. Ce texte d’Ezéchiel apprend à avoir honte, il nous permet de pouvoir avoir honte : avec toute notre histoire de misère et de péché, Dieu nous reste fidèle et nous élève. C’est ce que je ressens. Je n’ai pas de souvenirs particuliers de quand j’étais enfant. Mais adolescent si. Je pense au père Carlos Duarte Ibarra, le confesseur que j’ai rencontré dans ma paroisse ce 21 septembre 1953, le jour où l’Église célèbre saint Matthieu apôtre et évangéliste. J’avais 17 ans. Je me suis senti accueilli par la miséricorde de Dieu en me confessant à lui. Ce prêtre était originaire de Corrientes, mais il se trouvait à Buenos Aires pour soigner sa leucémie. Il mourut l’année suivante. Je me souviens encore qu’après ses funérailles et son enterrement, de retour chez moi, j’ai eu la sensation d’avoir été comme abandonné. Et j’ai beaucoup pleuré ce soir-là, beaucoup, caché dans ma chambre. Pourquoi ? Parce que j’avais perdu une personne qui me faisait ressentir la miséricorde de Dieu, ce «miserando atque eligendo», une expression que je ne connaissais pas alors et que j’ai ensuite choisie comme devise épiscopale. Je la retrouverai ensuite, dans les homélies du moine anglais saint Bède le Vénérable, lequel, en décrivant la vocation de Matthieu, écrit : “Jésus vit un publicain et comme il le regarda avec un sentiment d’amour et le choisit, il lui dit : “Suis-moi””.
C’est la traduction la plus communément faite de l’expression de saint Bède. J’aime traduire miserando avec un gérondif qui n’existe pas, “en miséricordant”, lui donnant miséricorde. Donc “en le miséricordant et le choisissant”, pour décrire le regard de Jésus qui donne miséricorde et choisit, prend avec lui.
Pécheur comme Simon Pierre
Le Pape est un homme qui a besoin de la miséricorde de Dieu. Je l’ai dit sincèrement, notamment devant les détenus de Palmasola en Bolivie, devant ces hommes et ces femmes qui m’ont accueilli si chaleureusement. Je leur ai rappelé que même saint Pierre et saint Paul avaient été incarcérés. J’ai un rapport spécial avec ceux qui vivent en prison, privés de leur liberté. J’ai toujours été très attaché à eux, justement pour cette conscience d’être moi-même pécheur. Chaque fois que je passe la porte d’une prison pour une célébration ou une visite, j’ai toujours cette pensée : pourquoi eux et pas moi ? Je devrais être ici, je mériterais d’être ici. Leurs chutes auraient pu être les miennes, je ne me sens pas meilleur que ceux que j’ai face à moi. Ainsi je me retrouve à répéter et à prier : pourquoi lui et pas moi ? Cela peut scandaliser, mais je me console avec Pierre : il avait renié Jésus et malgré cela a été choisi. […]
Dans la documentation du procès de béatification de Paul VI, j’ai lu le témoignage d’un des secrétaires auquel le Pape […] avait confié : “Pour moi cela a toujours été un grand mystère de Dieu, de me trouver dans ma misère et de me trouver devant la miséricorde de Dieu. Je ne suis rien, je suis misérable. Dieu le père a beaucoup d’amour pour moi, il veut me sauver, il veut me sortir de cette misère dans laquelle je me trouve, mais je suis incapable de faire cela par moi-même. Alors il envoie son Fils, un Fils qui porte la miséricorde de Dieu traduite en un acte d’amour envers moi…Mais il faut pour cela une grâce spéciale, la grâce d’une conversion. Je dois reconnaitre l’action de Dieu le père à mon égard à travers son fils. Une fois que j’ai reconnu cela, Dieu opère en moi à travers son Fils”.
C’est une très belle synthèse du message chrétien. Et que dire de l’homélie avec laquelle Albino Luciani commençait son épiscopat à Vittorio Veneto, disant qu’il avait été choisi parce que certaines choses, au lieu d’être inscrites dans le bronze ou le marbre, le Seigneur préférait les écrire dans la poussière : ainsi, si l’écriture était restée, il aurait été évident que le mérite revenait entièrement et uniquement à Dieu. Lui, l’évêque, le futur Jean Paul Ier se voyait comme “la poussière”. Je dois dire que quand je parle de cela, je pense toujours à ce que Pierre a dit à Jésus le dimanche de sa résurrection, quand il l’a rencontré seul. Une rencontre que mentionne Luc l’évangéliste (24, 34). Que peut avoir dit Simon au Messie à peine ressuscité du Sépulcre ? Lui a-t-il dit qu’il se sentait pécheur ? A-t-il pensé au reniement, à ce qui était arrivé quelques jours auparavant quand par trois fois il avait feint de ne pas le connaitre, dans la cour de la maison du Grand Prêtre. Il doit avoir pensé à ses larmes amères et publiques.
Si Pierre a fait cela, et si les Evangiles nous décrivent son péché, son reniement, et si malgré tout cela Jésus lui a dit : “Mène paitre mes brebis” (Évangile de Jean 21, 16), je ne crois pas qu’il faille s’étonner du fait que même ses successeurs se décrivent comme “pécheurs”. Ce n’est pas une nouveauté.
Trop de miséricorde ?
L’Eglise condamne le péché parce qu’elle doit dire la vérité : ceci est un péché. Mais en même temps elle embrasse le pécheur qui se reconnait comme tel, s’approche de lui, lui parle de la miséricorde infinie de Dieu. Jésus a pardonné même ceux qui l’ont mis en croix et l’ont méprisé. Nous devons revenir à l’Évangile. C’est là que nous voyons qu’on ne parle pas uniquement d’accueil et de pardon mais de « fête » pour le fils qui revient. L’expression de la miséricorde est la joie de la fête, que nous trouvons bien exprimée dans l’Évangile de Luc : “Il y aura plus de joie au ciel pour un pécheur converti que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n’ont pas besoin de conversion” (15, 7). Il ne dit pas : et si ensuite il devait rechuter, revenir en arrière, commettre encore des péchés, qu’il se débrouille tout seul ! Non, parce que Jésus a dit à Pierre qui demandait combien de fois il faut pardonner : “Soixante-dix fois sept” (Évangile de Matthieu 18, 22), c’est à dire toujours.
Au fils ainé du père miséricordieux (en référence à la parabole du Fils Prodigue, ndlr) il a été permis de dire la vérité sur ce qui s’est passé même s’il ne comprenait pas, car l’autre frère, quand il a commencé à s’accuser, n’a pas eu le temps de parler : le père l’a arrêté et s’est jeté à son cou. C’est précisément parce que le péché est dans le monde, précisément parce que notre nature humaine est blessée par le péché originel, que Dieu qui a donné son Fils pour nous ne peut se révéler que comme miséricorde. […]
Sur l’exemple du Seigneur, l’Eglise est appelée à répandre sa miséricorde sur tous ceux qui se reconnaissent pécheurs, responsables du mal accompli, qui sentent avoir besoin du pardon. L’Église n’est pas là pour condamner mais pour permettre la rencontre avec l’amour viscéral qu’est la miséricorde de Dieu. Pour que cela ait lieu, je le répète souvent, il est nécessaire de sortir. Sortir des églises et des paroisses, sortir et aller chercher les personnes là où elles vivent, où elles souffrent, où elles espèrent. L’hôpital de campagne, l’image par laquelle j’aime décrire cette “Église en sortie”, a la caractéristique de surgir là où l’on combat : ce n’est pas une structure solide, bien équipée, où l’on se fait soigner pour les petites et grandes affections. C’est une structure mobile, de premier soin, d’urgence, pour éviter que les combattants ne meurent. On y pratique la médecine d’urgence, on n’y effectue pas de check-up spécialisés. J’espère que le Jubilé extraordinaire fera toujours plus émerger le visage d’une Église qui redécouvre les entrailles maternelles de la miséricorde et qui va à la rencontre des si nombreux “blessés” qui ont besoin d’écoute, de compréhension, de pardon et d’amour.
Pécheurs oui, corrompus non
La corruption est le péché qui au lieu d’être reconnu comme tel et de nous rendre humbles, est élevé au rang de système, devient une mentalité, un mode de vie. Nous ne ressentons plus le besoin du pardon et de la miséricorde, au contraire nous justifions nos comportements et nous-mêmes. Jésus dit à ses disciples : si un frère t’offense sept fois par jour et que sept fois par jour il revient vers toi pour te demander pardon, toi, pardonne-le. Le pécheur repenti qui ensuite tombe et retombe dans le péché en raison de sa faiblesse trouve de nouveau le pardon s’il reconnait avoir besoin de miséricorde. Le corrompu par contre, est celui qui pèche et ne se repent pas, celui qui pèche et feint d’être chrétien, et avec sa double vie scandalise.
Le corrompu ne connait pas l’humilité, il estime ne pas avoir besoin d’aide, il mène une double vie. En 1991 j’avais consacré à ce thème un long article publié sous la forme d’un petit livre Corrupción y pecado (en français Guérir de la corruption, ndlr). Il ne faut pas accepter l’état de corruption comme s’il ne s’agissait que d’un péché supplémentaire : même si on associe souvent la corruption avec le péché, il s’agit en fait de deux réalités distinctes bien que liées entre elles. Le péché, s’il est réitéré, peut amener à la corruption, mais pas quantitativement – dans le sens où un certain nombre de péchés font un corrompu – mais plutôt qualitativement : des habitudes limitant notre capacité à aimer et amenant à l’autosuffisance sont générées.
Le corrompu se lasse de demander le pardon et finit par croire qu’il n’a plus besoin de le faire. On ne se transforme pas d’un coup en corrompu, il y a un long déclin, dans lequel on glisse et qui ne s’identifie pas simplement avec une série de péchés. On peut être un grand pécheur et malgré tout ne pas être tombé dans la corruption. En me tournant vers l’Evangile je pense par exemple aux figures de Zacchée, de Matthieu, de la samaritaine, de Nicodème, du bon larron : dans leur cœur pécheur ils avaient tous quelque chose qui les sauvait de la corruption. Ils étaient ouverts au pardon, leur cœur était conscient de leur propre faiblesse. Et c’est par cette embrasure qu’est entrée la force de Dieu. Le pécheur, en se reconnaissant comme tel, admet en quelque sorte que ce à quoi il a adhéré, ou adhère, est faux. Le corrompu en revanche, cache ce qu’il considère son vrai trésor, ce qui le rend esclave, et masque son vice avec sa bonne éducation, en faisant toujours en sorte de sauver les apparences.
Le nom de Dieu est miséricorde : conversation avec Andrea Tornielli de François avec Andrea Tornielli.R. Laffont/Presses de la Renaissance, janvier 2016, 15 euros.