L’historien André Vauchez a accepté de répondre à quelques questions sur son nouvel ouvrage autour de la vie de sainte Catherine de Sienne (1347-1380).
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Catherine de Sienne est une sainte particulièrement marquante de l’époque médiévale. Elle est intervenue dans les crises religieuses et politiques de son époque, marquée par la peste noire, la guerre de Cent ans, les luttes entre les principautés d’Italie, et l’exil des Papes à Avignon, avant le terrible épisode du Grand Schisme. André Vauchez, membre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres et ancien directeur de l’École française de Rome, a choisi de rendre accessible à tous la vie de cette étonnante mystique en composant une biographie historique à la fois précise et plaisante à lire.
Vous parlez d’un véritable « programme catherinien » qui a animé la vie publique de la sainte. Quels étaient les terrains d’action visés par Catherine ?
André Vauchez : Catherine n’a pas élaboré ce fameux programme toute seule. Il correspond à l’attente de l’ordre dominicain, de ses conseillers spirituels, ainsi qu’à celle des fidèles italiens qui souffraient beaucoup de l’absence de la papauté à Rome. Sa première revendication est donc le retour de la papauté d’Avignon à Rome. La papauté est à Avignon depuis le début du XIVème siècle, et même si elle n’en est pas prisonnière, le fait qu’elle ne soit plus à Rome devient très gênant du point de vue spirituel. En tant qu’évêque de Rome, le pape doit résider à Rome, et revêtir un caractère plus spirituel et moins administratif et politique que la papauté à Avignon.
Le second point de ce programme est la croisade. Pourquoi une croisade ? Parce que l’Occident est à l’époque déchiré par les guerres : la guerre de Cent ans en France et en Angleterre, les rivalités constantes entre les divers Etats de la péninsule en Italie, entre les grandes villes italiennes… Catherine vit dans un climat de guerre, et pense qu’il faut mettre fin à ces guerres entre chrétiens en « exportant la violence ailleurs ». Même si toutes les croisades ont échoué, Catherine pense, comme la papauté d’ailleurs, qu’il faut relancer une croisade et aller délivrer Jérusalem pour refaire l’unité des chrétiens d’une part, et d’autre part convertir les musulmans.
Cet aspect est particulièrement intéressant : Catherine ne parle jamais de l’aspect militaire des croisades, l’important pour elle est de convertir les musulmans. Son souhait le plus cher est de « faire rentrer l’un et l’autre peuples dans la plaie ouverte du côté du Christ », à savoir le peuple chrétien et le peuple des Infidèles. Il s’agit donc d’une croisade plus missionnaire que militaire.
Le troisième point, qui est lié aux deux autres, est la réforme de l’Eglise, une fois l’unité des chrétiens accomplie. L’Eglise de son temps est en effet dans un état lamentable, et Catherine a bien conscience de l’urgence de la situation.
Vous remettez en question le rôle déterminant souvent prêté à sainte Catherine quant au retour du pape Grégoire XI à Rome en janvier 1377 ; pourquoi ?
Je ne le remets pas en cause par plaisir, mais parce qu’historiquement nous sommes désormais sûrs qu’elle n’a pas joué un rôle décisif dans le retour de la papauté à Rome. Il y avait déjà de la part des Italiens une requête très importante quant à cette question. Quelques années avant, le pape Urbain V avait même tenté un retour à Rome, avorté par le retour de la guerre de Cent ans.
Grégoire XI, qui succède à Urbain V, a compris qu’il fallait que la papauté revienne en Italie sous peine de perdre ses possessions territoriales, particulièrement convoitées au nord par Florence, au sud par le royaume de Naples. La conjoncture était donc de toute façon favorable à ce retour du pape à Rome.
Catherine n’a pas joué un rôle décisif ; lorsqu’elle va voir le pape à Avignon, elle lui révèle qu’il avait fait lui-même, au moment de son élection, le vœu de rentrer à Rome. Cela prouve bien que ce n’est pas elle qui l’a convaincu d’y revenir. Mais il y avait du pour et du contre à cette question : les cardinaux, en majorité français, n’avaient notamment aucune envie de quitter les bords du Rhône. Grégoire XI, homme hésitant, tergiversait. Le rôle de Catherine a donc été d’insister sur le fait qu’il était urgent qu’il revienne à Rome. On ne peut pas dire que c’est elle qui a fait revenir la papauté à Rome, parce qu’elle y serait revenue de toute façon, mais elle a tout de même accéléré la décision.
Dès l’été 1378, les cardinaux élisent un nouveau pape, Clément VII, pour marquer leur opposition à Urbain VI. Catherine soutient alors Urbain VI, mais elle mourra bien avant la fin du Grand Schisme en 1415. Peut-on dire que ses échecs sont liés à une vision erronée du pouvoir temporel ?
Grégoire XI meurt dès mars 1378. Un italien, Bartolemeo Prignano, qui prend le nom d’Urbain VI, est élu à sa suite, non sans tensions entre les cardinaux et le peuple romain. Malheureusement, l’autorité et la maladresse du nouveau pape font qu’il rentre très rapidement en conflit avec les cardinaux. Ceux-ci décident d’élire un nouveau pape de langue française, Robert de Genève, qui devient Clément VII, pour remplacer celui qu’ils ont eux-mêmes élu quelques mois auparavant. La situation est donc extrêmement grave.
Catherine est horrifiée par ce schisme. Elle essaie de dissuader tous les cardinaux qu’elle connaît, surtout les italiens, qui finiront eux aussi par voter pour Clément VII. Malgré tout, elle reste fidèle à Urbain VI et va se battre pour essayer de faire triompher sa cause. Mais la situation finit par se stabiliser : on entre dans la période du Grand Schisme, qui dure jusqu’en 1415, durant laquelle il y aura deux papes, un à Rome et un à Avignon. Clément VII, n’arrivant pas à s’imposer en Italie, est obligé de retourner à Avignon. Cette confusion est très dommageable pour l’Eglise qui ira jusqu’à connaître trois papes à la fois au début du XVème siècle ! Il faut attendre l’élection de Martin V en 1417 pour retrouver une papauté unique.
Ce qui est remarquable chez Catherine est qu’elle est une mystique active. Il y avait eu d’autres mystiques avant elle, mais celles-ci n’étaient pas sorties de leur couvent ou de leur maison. Poussée par les révélations qu’elle reçoit de la part du Christ, elle se lance dans des campagnes auprès des responsables des cités italiennes puis des gouvernements de l’époque.
Catherine a donc été plongée dans la politique politicienne. Mais elle n’a pas toujours une vue très concrète de la situation. Elle a une vision purement spirituelle des choses. Elle voudrait que le pape soit une sorte de souverain suprême de l’Italie à une époque au contraire où les princes italiens cherchaient à développer leur indépendance. Catherine est souvent à contre-courant, incomprise et rejetée. On ne peut pas dire qu’elle ait remporté de grands succès politiques… Mais outre ces résultats décevants, il est particulièrement intéressant de voir que, pour la première fois, une femme modeste et relativement inculte ait réussi à obtenir une telle autorité.
Propos recueillis par Maëlys Delvolvé
La suite dès demain sur Aleteia
Retrouvez la première partie de cet entretien ici
Catherine de Sienne-Vie et passions, par André Vauchez, paru aux Editions du Cerf, 256 pages, 24 euros.
Pour en savoir plus, un entretien télévisé avec l’auteur, réalisé par les éditions du Cerf, est disponible ici