Interpelé par I.media, le cardinal français fustige aussi “le vide spirituel de l’Europe” et le manque d’éducation qui font naître des vocations au djihad.
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Si les récents attentats de Paris (France) ont tout d’une “guerre contre l’Occident”, le dialogue de l’Église catholique avec “la partie saine” de l’islam doit se poursuivre. C’est la conviction du cardinal Jean-Louis Tauran, président du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, pour qui les chrétiens doivent avoir “le courage de la différence” dans le monde actuel, en étant attentifs à ne pas laisser “germer la haine”. Interpellé par I.media, le cardinal Tauran fustige aussi “le vide spirituel de l’Europe” et le manque d’éducation qui font naître des vocations au djihad.
I.media : Comment avez-vous perçu les attaques perpétrées à Paris ?
Cardinal Jean-Louis Tauran : Il s’agit d’une guerre contre l’Occident, une guerre contre une civilisation ! Il faut évidement faire travailler la raison, car même dans une guerre il y a des lois. C’est à mes yeux une nouvelle ère qui voit le jour car, autrefois, le terrorisme visait une personne, un pays ou un groupe… et désormais c’est le monde entier qui est visé. C’est une situation absolument précaire, tout peut désormais arriver n’importe où. Nous assistons aux premiers pas d’un nouveau monde qui commence aujourd’hui, non pas demain, et bien mal, avec des conséquences pour une ou deux générations. Mais le danger serait de laisser germer la haine, et c’est là que les chrétiens doivent montrer le pouvoir de l’amour.
De tels actes remettent-ils en question le dialogue avec l’islam ?
Non, bien au contraire ! Ces actes donnent bien sûr peu de crédibilité au dialogue interreligieux, mais la majeure partie des musulmans n’est pas comme cela. Ce sont des gens qui vivent normalement, qui ont l’amour du travail, d’élever leurs enfants, etc. Le dialogue est aussi notre devoir, en tant que chrétiens.
Parmi les catholiques, cependant, on peut percevoir des réactions vives après ces attentats revendiqués au nom de Dieu, certains reprochant à l’Église catholique d’être trop complaisante avec l’islam…
Nous ne dialoguons pas avec ces gens ! Nous dialoguons avec la partie saine (de l’islam, ndlr), en espérant qu’elle ait de l’influence sur ces gens-là. L’Église reconnaît qu’il y a des parcelles de vérité dans les autres religions. Tout ce qui est différent de nous n’est pas mauvais. Quant au terrorisme religieux, le pape François l’a dit, c’est un blasphème. On ne peut pas se servir ainsi de Dieu, c’est un mensonge.
Dès lors, où de tels actes trouvent-ils leur origine ?
Ce terrorisme se nourrit du vide spirituel de l’Europe. Tous ces jeunes gens qui s’enrôlent trouvent là une identité, un but, de l’argent. Ce qui manque en Europe, c’est la dimension spirituelle. Pourquoi tous ces jeunes partent-ils ? Parce qu’ils n’ont rien chez eux : pas de travail, pas de but dans la vie, et on leur donne immédiatement 1 000 dollars par mois, avec une catéchèse musulmane très rapide. La solution passe par l’éducation : l’école et l’université. Prenez par exemple un pays comme le Liban. Qu’est-ce qui a fait ce pays ? C’est l’école. Musulmans et chrétiens étaient tous ensemble, depuis le jardin d’enfants jusqu’au baccalauréat. La manière dont on enseigne l’Histoire est aussi très importante.
Comment chacun de nous peut-il lutter contre cette barbarie ?
On lutte contre de tels actes en redoublant de cohérence dans notre vie. Un chrétien, dans le monde d’aujourd’hui, c’est quelqu’un qui pose question. À l’inverse, si nous ne posons pas question, nous ne sommes pas “le sel de la terre”. Il faut avoir le courage de la différence dans le monde d’aujourd’hui. En Europe, par exemple, un jeune enfant qui ose dire à l’école qu’il est le seul de sa classe à aller au catéchisme, qui est l’objet de la dérision de ses camarades, commence déjà à savoir ce que c’est que d’être chrétien.
La France n’a pas tardé à réagir en bombardant massivement des sites liés à Daesh en Syrie. Est-ce la solution à vos yeux ?
Il y a le devoir d’un gouvernement d’assurer la sécurité des citoyens, la France est en état de légitime défense. Mais la France ne doit pas être seule, elle doit être accompagnée par la communauté internationale, en particulier pour aller sur le terrain.
Dans ce contexte, la visite du pape François en République centrafricaine fin novembre comporte-t-elle des risques ?
Je crois que le Pape a toujours envie d’y aller. Il ne faut pas non plus s’enfermer dans la peur, car alors les djihadistes gagnent. Ils sont réellement dans une lutte contre la civilisation occidentale. D’ailleurs, Abou Bakr al-Baghdadi, le calife de l’État islamique, a dit qu’il voulait punir “l’imbécile de Hollande”, mais surtout la ville de Paris, “capitale de la perversion” !
Et punir Paris qui “porte la bannière de la croix en Europe”…
J’aimerais bien que Paris porte l’étendard de la croix, mais je ne crois pas que ce soit le cas !
Propos recueillis au Vatican par Antoine-Marie Izoard, I.media