Entretien avec Rowan Williams, ancien archevêque primat de l’Église anglicane, “fils spirituel du Carmel”, en visite au Congrès international thérésien.
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Lors du Congrès international thérésien qui s’est tenu à Avila (Espagne) du 21 au 27 septembre 2015 sous le titre “Thérèse Patrimoine de l’Humanité”, Rowan Williams, ancien archevêque de Canterbury et ancien primat de l’Église anglicane, s’est déclaré “fils spirituel du Carmel”. La revue espagnole Alfa y Omega a recueilli son témoignage :
Alfa y Omega : Pourquoi l’homme qui a été la plus haute autorité spirituelle de l’Église anglicane a-t-il souhaité participer au Congrès international thérésien pour parler de sainte Thérèse d’Avila, de l’Eucharistie et de la Réforme ?
Rowan Williams : J’ai parlé de la réaction de Thérèse à la Réforme protestante du XVIe siècle. Le climat de violence qui ravageait l’Europe la poussa à réformer l’Ordre du Carmel et à changer la forme de vie religieuse. Le Christ, pensait-elle, était déshonoré et humilié par la destruction des églises, par la profanation des Saintes Hosties en France et dans le Nord de l’Europe, etc. Nous ne suivons pas Thérèse, bien entendu, quand elle estime que la Réforme est la fin du monde. Elle n’avait qu’une connaissance limitée des intérêts de la Réforme et de sa théologie. Mais, et cela est très intéressant, sa réaction à cette période a été d’exprimer le besoin d’une vie de pauvreté, le besoin de se donner. Pour Thérèse, la Réforme impliqua un approfondissement spirituel sur le sens de l’Eucharistie. Elle attribuait à la Réforme le rejet de l’Eucharistie dans l’Église. Et nous la voyons alors méditer sur la véritable signification de l’Eucharistie.
Cela mérite une explication…
Elle nous confirme que le Fils de Dieu accepte dans le pain l’humiliation de l’humanité. Et, lorsque nous prions “donne-nous aujourd’hui notre pain quotidien”, nous prions pour que Dieu reste avec nous jusqu’à la fin des temps. Nous, en réponse, devons être avec le Christ. Nous devons accepter que, dans la pauvreté, la souffrance, l’incertitude, nous avons à rester fidèles. Nous devons en finir avec la fausse croyance que la spiritualité est commode et facile. Et, dans notre fidélité, le Christ prie, le Christ agit.
Un anglican qui parle de dialogue œcuménique, de Thérèse de Jésus et de l’Église catholique… Comment pouvons-nous lier ces aspects ?
En tant qu’anglican, je me suis toujours trouvé entre la Réforme et l’Église catholique. Dans notre Église, nous avons une théologie forte sur l’Eucharistie. Au cours des 50 dernières années, nous avons redécouvert la vie contemplative et la pratique de l’oraison. Je parle comme un anglican dont la connaissance de Dieu, de l’Église et des sacrements a été influencée par Thérèse de Jésus et par l’évolution sociale des carmélites. J’ai commencé à découvrir saint Jean de la Croix quand j’étais étudiant, et Thérèse adolescent. Ces voix du Carmel m’ont aidé dans mon développement et dans ma vie d’oraison. Tant l’Église catholique que l’Église anglicane possèdent de multiples éléments pour maintenir le dialogue.
Parfois il semble que nous en sommes très loin …
Ce dialogue rencontre de nombreux défis et peut paraître trop loin ; mais je perçois dans le quotidien de l’Église d’Angleterre qu’il existe une proximité de plus en plus grande avec les catholiques, un plus grand échange de prières les uns pour les autres. À Canterbury, nous avons des réunions régulières entre évêques anglicans et évêques catholiques et, plus que pour discuter, pour mener une réflexion commune. Et j’espère que nous pourrons approfondir la découverte de Dieu dans l’autre.
Actuellement en Europe, est-il possible de transformer l’économie, le travail, les salaires, la situation des frontières, sans préserver les valeurs chrétiennes qui nous unissent ?
Lorsque nous parlons des valeurs européennes, je crois que nous devons clarifier ce que cela signifie. Est-ce que nous nous référons simplement à l’Histoire de nos pays et sociétés en particulier, ou parlons-nous des visions qui font partie de l’Europe depuis plusieurs siècles grâce au christianisme ? Parce que les valeurs des Églises chrétiennes sont l’accueil, l’affirmation de la dignité de chaque personne, la possibilité pour les étrangers de vivre ensemble… Avec la situation terrible que les réfugiés connaissent en Europe, nous devons sauvegarder cette vision positive de la chrétienté. Il est vrai que l’Europe traverse encore une crise profonde, avec des niveaux élevés de pauvreté et une situation financière complexe, mais je ne pense pas que la solution à ces problèmes soit de créer des murs et de nous replier sur nous-mêmes. Si nous sommes d’accord avec le concept de société globale, nous devons veiller à la justice pour tous. Telles sont les valeurs européennes qui importent en vérité.
Nous parlons d’une religieuse qui a vécu voici cinq siècles. Pourquoi est-t-il si important d’étudier sainte Thérèse aujourd’hui ?
Thérèse d’Avila a pensé et écrit sur des questions essentielles de l’humanité, des questions vraiment capitales. Le premier point est son insistance à dire que Dieu trace une relation d’amitié avec l’homme. Droits, égalité, dignité… Rien de ceci n’est important en réalité. Ce qui importe, c’est que Dieu appelle chacun de nous “ami”. C’est pourquoi, lorsque dans les communautés monastiques existe l’amitié, celle-ci nous aide à connaître les projets de Dieu sur nous. Thérèse a un message immédiat pour les sociétés qui sont divisées. Sa propre société, celle de son contexte, est divisée et pleine de soupçons et de discriminations. Thérèse, avec amitié et grâce, affronte ce contexte. Le deuxième point est sa vie de prière, d’oraison. Dieu vit, maintenant même, en ce moment, dans chacun de nous. Il travaille en ce moment dans chaque âme. Et Dieu nous appelle à nous reconnaître et à le reconnaître. Thérèse nous incite au silence, à nous asseoir, à être patients avec le mystère de Dieu. Et, finalement, Dieu apparaît. Il brise la surface et nous voyons Dieu dans chaque visage, dans l’Église, dans son Fils Jésus Christ… Dieu se montre avec clarté. Contemplation et action, prière et justice sont indissolublement liées. C’est à cela que Thérèse nous appelle aujourd’hui.
Entretien réalisé à Avila par Ricardo Morales Jiménez pour Alfa y Omega et diffusé sur l’édition lusophone d’Aleteia