Le cheikh Khaled Bentounès, 66 ans, chef spirituel musulman soufi, est un ardent promoteur du rapprochement intercommunautaire. De passage à l’Unesco fin septembre, le sage algérien a accordé une interview exclusive à Aleteia.
Pour qu’Aleteia poursuive sa mission, faites un don déductible à 66% de votre impôt sur le revenu. Ainsi l’avenir d’Aleteia deviendra aussi la vôtre.
*don déductible de l’impôt sur le revenu
Aleteia : On constate ces derniers temps en France une fracture entre les chrétiens, pratiquants ou seulement de tradition, et les musulmans. Comprenez-vous que les Français aient à ce point peur de l’islam ?
Cheikh Khaled Bentounès : Bien sûr. Cette peur est compréhensible quand vous voyez que l’on commence à inculquer à des enfants de 7 ou 8 ans le rejet de l’autre, que cela se passe en France – et en français ! –, et que ces pratiques sont tolérées par les autorités. L’autre, même le musulman qui ne pense pas comme eux, est diabolisé. Certains imams vont même jusqu’à dire que la musique est l’œuvre du diable…
Mais de quel islam parle-t-on ? Cet islamisme fait peur aux musulmans eux-mêmes, nous avons peur de la même chose ! Il faut nous connaître et en profiter justement pour nous rapprocher. C’est la seule chose qui peut tous nous sauver, nous sommes embarqués sur le même bateau. La violence ne réglera rien. Le repli sur soi non plus.
N’est-ce pas un peu idéaliste ?
Ne sommes-nous pas là pour réaliser ce qui est idéal ? Donner au rêve une réalité ? N’est-ce pas là le pari de l’homme sur Terre ? C’est notre ego qui veut que nous ayons quelque chose à nous, notre propre façon de manger… Très bien, pourquoi pas, mais que l’on n’en fasse pas un problème au point de nous entretuer. C’est une absurdité totale : nous sommes au XXIe siècle !
Comment expliquer que cette voie apaisée et spirituelle que vous défendez, le soufisme, souffre d’une si mauvaise presse dans le monde musulman ?
Il y a une date à cela : 1923. Depuis 1923, le wahhabisme a conquis La Mecque et Médine, les deux lieux saints de l’islam. Ceux qui étaient à l’origine de véritables sectes, violentes et n’acceptant aucun dialogue, sont devenus, grâce aux pétrodollars, des monarchies richissimes et ont envahi le monde. Aujourd’hui, pratiquement toutes les chaînes de télévision arabes leur appartiennent. Ils financent tous ces fondamentalismes, tout ce salafisme, tous ces groupuscules dans le monde.
Ils ont une force considérable derrière eux. Six millions de livres sont distribués chaque année à chaque pèlerinage (à la Mecque, ndlr). Plus de 45 000 imams sont financés par l’Arabie saoudite à travers le monde. Chacun d’eux, chaque vendredi, a face à lui au minimum 1 000 à 2 000 personnes. Allez voir leurs vidéos, écoutez-les. Il n’y a même pas besoin de traduction pour comprendre ce qu’ils racontent…
Vous vous êtes également élevé contre l’opposition intra-musulmane entre sunnites et chiites, tout comme le pape François l’avait fait il y a quelque temps à l’adresse des chrétiens. Le monde musulman est-il prêt à l’entendre?
Respectons l’opinion de l’autre ! Des millions de personnes le pensent mais personne n’ose le dire. Nous avons la chance d’avoir un Pape provocateur qui nous encourage à aller de l’avant, pour que l’humanité bouge. Je n’ai pas encore échangé personnellement avec lui, mais j’avais rencontré deux fois Jean Paul II. François bénit notre mobilisation en vue de la création d’une Journée mondiale du vivre ensemble et nous a envoyé une lettre en ce sens. Il est assez occupé, mais une rencontre est en préparation.
Le dialogue avec l’Église catholique est important pour créer du lien. Le dernier message du prophète Mohamed avant sa mort tenait en quatre points : semez la paix, soyez généreux envers les nécessiteux, créez du lien entre vous et veillez la nuit quand les gens dorment. Tous les messages se retrouvent !
Propos recueillis par Mathilde Rambaud
Le grand entretien (1/3). “Si Dieu est Un, la famille humaine ne peut être qu’une !”