Spécialiste de la Russie, Xavier Moreau revient pour Aleteia sur la position de la France face à la Russie dans la crise ukrainienne.
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Xavier Moreau est un homme d’affaires et un analyste politico-stratégique installé à Moscou depuis 15 ans. Saint-Cyrien et diplômé de la Sorbonne, il analyse l’actualité liée à la Russie depuis deux ans sur le site Stratpol. Il vient de publier Ukraine, pourquoi la France s’est trompée aux éditions du Rocher.
Aleteia : Pour reprendre votre sous-titre, en quoi la France s’est-elle trompée ? Mais surtout qui s’est trompé en particulier, les médias, le gouvernement, la population ?
Xavier Moreau : Non ce ne pas les médias, car ils sont pour la plupart incompétents pour comprendre exactement ce qui se passe, le niveau est encore trop bas il faut donc chercher ailleurs. Ceux qui se sont trompés, ce sont à la fois le Quai d’Orsay et les instituts qui le conseillent. J’en cite deux essentiellement : l’Institut français pour les relations internationales (IFRI) qui est dirigé par Thomas Gomart et la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) dirigé par Camille Grand. J’écris depuis deux ans sur le conflit ukrainien et depuis Maïdan (Kiev), je suis leurs analyses et dénonce factuellement leurs erreurs. Toutes les prospectives qu’ils ont effectuées se sont avérées fausses. Par exemple je cite Bruno Tertrais de la FRS qui annonce en juillet 2014 que les derniers bastions rebelles sont sur le point de tomber alors qu’au même moment la presse ukrainienne fait état d’éléments entiers de l’armée ukrainienne encerclés dans ce que l’on appelle des “chaudrons”. Thomas Gomart quant à lui, a même qualifié les rebelles de “bandits” car soi-disant “il n’y aurait rien d’autre à faire dans le Dombas (région de l’Est du pays, théâtre principal de la guerre civile ukrainienne, ndlr)”. Il n’est même pas conscient du fait que le Dombas est une zone à forte productivité qui fait vivre le reste de l’Ukraine.
Comment expliquer ce fourvoiement ?
Thomas Gomart est littéralement enfermé dans une analyse purement atlantiste. Tandis que c’est l’incompétence qui peut expliquer les mauvaises analyses du FRS : Camille Grand, son responsable, est tout bonnement dépassé par les événements. À aucun moment ces instituts ne traitent la question économique, alors que le problème du Dombas se situe précisément ici. La Russie a tenu à bout de bras l’économie ukrainienne pendant 23 ans. La question est maintenant celle-ci : les Occidentaux seront-ils prêt à injecter à leur tour des milliards d’euros d’investissements par an en Ukraine ?
Et vous, vous est-il arrivé de vous tromper dans vos analyses ?
La seule chose sur laquelle je me suis trompé c’est au sujet des Mistral, je ne pensais pas qu’un président de la Ve république pouvait trahir à ce point les intérêts français, j’ai vraiment cru qu’il ferait passer devant les intérêts de le France. J’ai largement surestimé François Hollande et Manuel Valls par la même occasion, car les exportations militaires dépendent exclusivement du Premier ministre.
Vous écrivez que le gouvernement russe a parfaitement conscience des menaces que le département d’État américain fait peser sur la France, quelles sont-elles exactement ces menaces ?
C’est par exemple l’affaire de la BNP : 9 milliards d’euros. Il y a un an, la BNP a utilisé des dollars pour faire du commerce avec l’Iran et Cuba. Pour cette simple raison les Américains ont sanctionné lourdement la banque française et donc la France. Parce que les Américains ont instauré des sanctions contre ces pays, la France doit aussi s’y soumettre. Les États-Unis utilisent le dollar pour forcer ses alliés à appliquer des sanctions contre un pays. Si demain Paris décidait de désobéir à Washington, la France va rentrerait en “guerre froide” avec les États-Unis. Ils taxeraient alors les banques françaises et s’en prendraient à notre industrie. Ils mèneraient une guerre du même type que celle contre la Russie. Il est cependant évident que François Hollande n’est pas l’homme de la situation, ce n’est pas lui qui résistera à Washington. C’est comme cela qu’il est perçu à l’international : il est considéré comme un fonctionnaire du département d’État américain, ni plus ni moins.
L’Église catholique, fait-elle figure d’exception ?
Le pape François a respecté une vieille règle en Europe, qui date de l’époque médiévale, selon laquelle un chrétien ne tue pas un autre chrétien. Les gréco-catholiques ont démarché à plusieurs reprises le Pape pour qu’il prenne position contre les orthodoxes et contre Moscou, mais à chaque fois ils se sont fait vertement éconduire par le Saint-Père. Cela a eu pour conséquence de le rapprocher énormément du patriarche Cyrille Ier, représentant de l’Église orthodoxe de Russie. Le Pape porte un message de paix et d’amour, il n’est pas là pour appeler à la croisade contre les Russes. On peut rendre au grâce à François de ne pas s’être laissé embarquer dans une affaire qui aurait profondément divisé les chrétiens.
Vous abordez la question de l’influence des sectes, notamment dans l’armée ukrainienne. Quelle est la proportion de ce phénomène ?
Les sectes païennes sont très présentes, en particulier dans les bataillons néo-nazis. La rune du loup de la division “Das Reich” a d’ailleurs été adoptée comme symbole par le bataillon ukrainien “Azov”. D’autre part, nous observons l’influence de sectes protestantes, déjà très présentes en Ukraine depuis les années 80, tout comme l’Église de scientologie. Tourchinov, président de la Rada (parlement ukrainien, ndlr) pro-américain, pasteur baptiste très lié à ces sectes, est de surcroît un va-t-en guerre particulièrement fanatique. Par ailleurs, quand les rebelles ont pris l’aéroport de Donetsk, ils se sont aperçus que chaque soldat ukrainien capturé possédait un lecteur MP3 rempli de prêches d’un pasteur ukraino-américain. Sur un ton monocorde, la voix expliquait entre autres qu’il ne fallait pas avoir peur de la mort. Comme en Afrique, l’influence des États-Unis passe par les sectes protestantes, c’est incontestable.
Quel avenir pour l’Ukraine ?
Il n’y plus d’argent pour faire la guerre qui coûte à l’Union européenne entre 5 et 7 millions de dollars par jour. Même sans la guerre, ces fonds injectés ne seraient pas suffisants pour faire tenir l’économie ukrainienne. D’autant plus que le complexe militaro -ndustriel de l’Ukraine, qui représente 22 000 employés, a dû se séparer de son plus gros client, la Russie. C’était une des volontés des Occidentaux pour affaiblir la Russie, car dans l’Est de l’Europe désindustrialisation équivaut à “dérussification”. L’Ukraine, ruinée, devra inévitablement se retourner un jour ou l’autre vers la Russie pour se relever. Nonobstant les 11 000 morts, cette crise aura eu le mérite de révéler aux Ukrainiens à quel point la Russie les a portés pendant 25 ans. L’autre question qui va se poser à l’avenir c’est celle des bandes armées qui sévissent dans l’Est de l’Ukraine. Comment vont-elles se comporter lorsqu’elles cesseront d’être payées ?
Propos recueillis par Arthur Herlin