« Vous avez commis une grande erreur, en détruisant notre état, notre histoire et notre patrimoine ».
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Architecte de profession, Maria Saadeh est députée de la circonscription de Damas et Sednaya. Elle a été élue après un an de conflit. Elle est plus déterminée que jamais à sensibiliser l’opinion française au calvaire qu’endure son peuple.
Aleteia : Pourquoi avoir choisi soudain de devenir députée du parlement Syrien alors que rien ne vous y destinait ?
Maria Saadeh : En tant que citoyenne et femme syrienne j’estime que vos gouvernements n’ont pas le droit de sélectionner qui peut représenter ou non la Syrie. Pour cette raison j’ai estimé qu’il fallait que je rentre au parlement pour avoir une tribune légale afin de parler au nom du peuple syrien et refléter au mieux la réalité et pour transmettre un message à l’occident : « vous avez commis une grande erreur, en détruisant notre état, notre histoire et notre patrimoine ».
Que répondez-vous à ceux qui vous accusent d’être élue au service d’un régime dictatorial ?
Ce sont les occidentaux qui se permettent de juger que notre société est sous une dictature. Les Syriens quant à eux, les premiers concernés, sont loin de penser cela. Ce n’est pas du droit des occidentaux de proclamer que c’est un régime dictatorial. Seuls nous, Syriens, vivons au quotidien dans la société syrienne, il n’y a que nous qui sommes en mesure de juger le gouvernement syrien. Il n’y a que nous qui avons connu la situation avant la guerre et maintenant et qui pouvons donner notre avis sur la situation politique du pays. La Syrie est le berceau des civilisations, de l’Histoire et des religions, c’est une terre qui appartient à l’humanité toute entière et aujourd’hui nous devons faire face à la monstruosité. Sous le prétexte de s’attaquer au régime, vos gouvernements détruisent le patrimoine de l’humanité.
Etiez-vous engagée politiquement avant la crise que traverse aujourd’hui la Syrie ?
Non pas du tout, je n’exerçais absolument aucune responsabilité politique avant la guerre. Je suis architecte, j’ai travaillé en France, et dans toute l’Europe. C’était une grande surprise pour moi de voir cet occident qui respecte sur son territoire la civilisation et le patrimoine, s’attaquer à notre intégrité. J’ai donc été élue il y a quatre ans lors des dernières élections parlementaires qui ont eu lieu un an après le début de la guerre. Les prochaines seront organisées dans quelques mois.
Quand vous faisiez partie de la société civile, aviez-vous des choses à reprocher au gouvernement syrien ?
Bien sûr, j’avais de nombreux points de désaccords avec le gouvernement. Mais nous n’en sommes plus là, la question qui se pose aujourd’hui n’est plus d’être d’accord ou non avec le gouvernement. Le problème actuellement c’est que nous sommes confrontés à une guerre internationale contre l’Etat syrien. Nous voulons protéger notre intégrité, nos maisons, notre souveraineté et nous mettrons tout en œuvre pour servir cet objectif. Le gouvernement a commis beaucoup de fautes par le passé et lorsque je prends la parole au parlement lors des débats, je m’adresse à lui en toute franchise. Je critique aussi les médias syriens qui ne donnent pas assez la parole à la société civile, en particulier celle qui s’oppose au gouvernement. Nous sommes maintenant en guerre, il est vrai, mais c’est une occasion de créer une nouvelle Syrie, une Syrie qui porte toutes les voix syriennes qui peuvent profondément reconstruire une société plus stable et plus égalitaire.
Au début de la crise Syrienne, qui manifestait pour réclamer une société plus « démocratique » ?
Laissez-moi vous donner un exemple, et vous jugerez. Comme architecte j’avais un chantier et des ouvriers sous ma responsabilité. Au début de la crise et des manifestations, mes ouvriers avaient abandonnés leur poste. J’ai finalement compris que les islamistes déjà présents, les payaient pour manifester : pour une heure ils touchaient 500 livres syriennes tandis que les organisateurs eux, recevaient 1000 ou 2000 livres syriennes. Cela représente plus d’une journée de travail ! Vous imaginez donc quel succès cela a rencontré.
Certains d’entre eux manifestaient tout de même sincèrement…
Oui bien sûr, beaucoup de jeunes en particulier réclamaient un avenir différent. Ils croyaient participer une révolution populaire, mais ils se sont très vite rendu compte qu’ils étaient manipulés.
Quels résultats ont découlé de votre rencontre avec le Pape en 2013 ?
Le Pape est le personnage qui représente au mieux la paix dans le monde, on sait très bien qu’une action de sa part peut avoir d’immenses répercussions sur ce qu’il se passe en Syrie. N’avait-il pas refusé catégoriquement que l’OTAN bombarde la Syrie il y a deux ans ? Il sait que l’enjeu ne concerne pas seulement les Syriens mais l’humanité toute entière. Quelques temps après l’avoir rencontré, le Vatican a organisé une veillée pour le peuple Syrien, j’ose imaginer que c’est une conséquence de mon entretien avec lui.
Vous êtes chrétienne, quel est la position des chrétiens de Syrie face au gouvernement plus largement face à la guerre ?
Avant toute chose, je ne représente pas les chrétiens en Syrie. Nous sommes un Etat laïc, je représente donc tous les syriens, bien au-delà de leurs confessions. Tout le peuple syrien est confronté à la même guerre.
Quelle est votre position face à l’engagement de la Russie dans votre pays ?
Nous avons une grande relation historique avec l’occident, mais aujourd’hui le peuple syrien ne se fait plus d’illusion quant à l’attitude extrêmement agressive de l’occident. Dans le même temps, la Syrie ne peut pas affronter seule cet ennemi redoutable qu’est l’Etat islamique, elle doit trouver de nouveaux partenaires, la Russie en est un. Tous les états qui sont volontaires pour participer à l’effort de guerre sont les bienvenus.
Un gouvernement de transition peut-il aider à la réconciliation ou bien faut-il que Bashar Al-Assad reste coûte que coûte à la tête de l’Etat syrien ?
Bashar Al-Assad ne doit quitter ses responsabilités qu’après une décision populaire du peuple syrien et de lui seul. Son départ, si départ il y a, ne doit en aucun cas être le résultat de pressions issues de l’extérieur de la Syrie.
Les Syriens ont-ils vraiment les leviers institutionnels pour changer de dirigeant s’ils le décident ?
Pendant les élections présidentielles, le peuple syrien a fait son choix. Il y avait des concurrents à Bashar Al-Assad, des opposants reconnus. Si de nouveaux opposants veulent se déclarer, qu’ils le fassent ! Nous vivons aujourd’hui une occasion de changement, il faut la saisir. Tout le monde peut participer à la reconstruction de la Syrie, de ses maisons comme de son Etat.
Propos recueillis par Arthur Herlin.