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Alors que les sénateurs viennent de retirer du projet de loi Santé la suppression du délai de réflexion votée par les députés, quel est l’avis des femmes ? Une enquête du site Gènéthique.
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La suppression du délai de réflexion de sept jours pour les femmes souhaitant avorter a été adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale dans la nuit du mercredi 8 au jeudi 9 avril (…) par une poignée de députés : 40 voix contre 22 ont approuvé l’initiative de la députée socialiste Catherine Coutelle, présidente de la délégation aux droits des femmes. Alors qu’en 1974, Simone Veil avait défendu ce délai de réflexion, soulignant que l’IVG était une “décision grave” ne pouvant être prise “sans en avoir pesé les conséquences”, ces 40 députés ont estimé que ce délai de réflexion était “infantilisant”, “culpabilisant” et qu’il “n’apporte pas de garantie concrète et réelle” (Aleteia).
Mais, le 22 juillet, la Commission des affaires sociales du Sénat a retiré du projet de loi Santé l’ensemble des articles relatifs à l’IVG au premier rang desquels cet article supprimant le délai de réflexion(1). Le débat est donc relancé. Premier site d’actualité bioéthique, le site Gènéthique a sollicité des femmes qui ont accepté de partager leur expérience et ont donné leur témoignage en répondant à un questionnaire en ligne(2).
Gènéthique restitue ainsi leurs paroles (extraits) :
Elles sont 64 à avoir répondu. La moyenne d’âge de ces femmes est de 26 ans. La plus âgée a 67 ans, la plus jeune 16 ans. L’une d’elle a dû avorter à 14 ans. Si l’échantillon n’a pas de valeur représentative, cette consultation donne cependant sa place dans ce débat à la parole de femmes directement concernées par l’avortement et qui se disent en majorité favorables au maintien du délai de réflexion obligatoire. Gènéthique leur a demandé si elles souhaitaient effectivement la suppression du délai de réflexion, si ce délai avait pesé sur leur décision et comment elles avaient traversé ces sept jours. Enfin, comment elles considéraient l’avortement.
1/ Des femmes qui ne souhaitent pas la suppression du délai de réflexion
Trente-deux femmes estiment que ce délai est important et qu’il ne doit pas être supprimé, que cette semaine a pesé sur leur décision. Même si quasiment toutes ont traversé des “journées remplies de doutes”, si ce délai, “très perturbant”, a été un moment éprouvant (…).
Et plusieurs expliquent qu’il est même trop court. L’une d’elle raconte : “J’y ai été forcée par ma famille et je pense que si le délai avait été plus long j’aurais pu réussir à m’organiser pour garder cet enfant, ou du moins réussir à me battre contre ma famille”. Une autre précise : “C’est trop court et avec la pression des familles et du compagnon, il faudrait qu’on nous écoute plus car c’est nous qui en souffrons après”, tandis qu’une troisième, qui n’a pas bénéficié du délai de réflexion, explique : “À l’heure d’aujourd’hui je serais sûrement maman”.
Elles veulent éviter “la banalisation de l’acte” qui reste grave “malgré tout ce que l’on peut essayer de nous faire croire”, “une IVG reste un moment douloureux dans la vie d’une femme”, et prendre le temps de “peser le pour et le contre”, “pour être sûre”, “pour ne pas regretter”, parce que “les décisions importantes ne doivent pas être impulsives”.
La souffrance vécue après l’IVG justifie ce délai de réflexion
Elles légitiment l’opportunité de ce délai en évoquant souvent leur souffrance après l’avortement : “Il s’agit aujourd’hui d’apprendre à vivre avec” : “C’est un acte qui marque”, “un choix que l’on regrettera sûrement toute sa vie”. L’une d’elles explique : “Cela fait trois ans que j’ai avorté et j’en souffre encore” (…). Au-delà des conséquences psychologiques, toutes les conséquences de l’acte sont-elles toujours évoquées et prises en compte ? Une femme raconte : “Je n’ai eu que deux jours de réflexion. En septembre 2008, j’ai arrêté la pilule. Je n’arrive plus à tomber enceinte”.
En quête d’une alternative à l’avortement
L’une d’elle raconte : “Lorsque j’attendais dans la salle d’attente de ma gynécologue, une jeune femme dans la même situation que moi a craqué. Je n’oublierai jamais sa détresse et les questions qu’elle se posait (…). J’espère qu’elle a eu ce délai de sept jours et qu’elle a trouvé une main tendue. Elle voulait garder son enfant et était contrainte d’y renoncer…”. Cette main tendue est évoquée par d’autres qui regrettent de ne pas avoir trouvé de solution pour garder leur bébé. Plusieurs évoquent “un sentiment de solitude puisqu’impossible d’en parler à qui que ce soit” : “J’attendais juste le moment fatidique, je n’avais personne avec qui en parler…”, même en couple : “On se sentait extrêmement seuls”. Ce que la loi Veil se proposait justement d’éviter (cf. Gènéthique vous informe du 24 novembre 2014).
Un délai qui a permis à certaines de garder leur bébé
A fortiori, l’une d’elle explique que ce délai lui a permis “d’éviter de faire la plus grosse erreur de ma vie”, tandis qu’une autre ajoute : “Sans cette réflexion à l’heure d’aujourd’hui je n’aurais pas mon bébé, c’est une longue semaine certes mais pour les femmes qui doutent, elle est importante !”.
2/ L’avis de celles qui s’interrogent ou veulent la suppression de ce délai
Celles qui demandent la suppression du délai de réflexion (22 d’entre elles) ne veulent pas faire face à la culpabilité qu’elles ressentent en allant jusqu’à l’avortement (cf. Le coin des experts, Gènéthique du 24 avril 2015) : “On se sent déjà assez coupable de faire ça”, “Nous culpabilisons encore plus”, et elles estiment que “ce délai est infantilisant”, “une pression supplément
aire”, “une obligation irritante” (…). Tandis qu’une autre raconte : “Cela ne fait qu’empirer la situation, car pendant cette semaine de réflexion, on a un petit cœur qui grandit en nous, et plus on attend, plus il grandit, et plus ça nous fait du mal de le faire partir”. À 19 ans, cette jeune femme choisit de garder son bébé.
Certaines femmes “ne savent pas”, d’autres “regrettent”
Celles qui hésitent, elles sont au nombre de 11, estiment que ce délai “provoque beaucoup d’incertitudes, mais permet aussi de ne pas prendre une décision trop rapide pour ensuite la regretter” (…). Si certaines estiment que ce délai est inutile, plusieurs femmes, qui n’ont pas pu en bénéficier expriment leurs regrets : “J’ai eu un rendez-vous pour une ordonnance de prise de sang pour le groupe sanguin et le lendemain, on m’a donné le traitement. Je regrette énormément. J’aurais aimé avoir du temps car c’est très dur. J’aurais pu réfléchir et dire non à ceux qui m’y ont amenée”. Enfin une autre avoue : “Avec le recul, je pense que si j’avais eu le délai légal, je ne l’aurais pas fait”. Si l’article 17bis du projet de loi Santé est adopté, toutes les femmes se trouveront alors dans cette situation.
3/ Choisir l’IVG : une décision difficile souvent contrainte
La plupart des femmes qui ont répondu au questionnaire disent qu’elles ont avorté. Une décision souvent contrainte : si 12 femmes considèrent que l’avortement était “une évidence, cette grossesse n’était ni prévue, ni désirée”, et pour cinq autres, juste “une alternative possible”, 33 d’entre elles expliquent que l’avortement a été “une réponse douloureuse à une situation sans issue”. Et elles sont 19 à exprimer que cette solution n’était pas la leur, mais “la réponse qui m’était imposée”. Elles racontent : “Sous pression j’ai avorté”, “C’est ma mère qui a décidé l’avortement”, (…) “J’ai été contrainte de subir une IVG médicamenteuse. On m’a imposé de ne pas le garder” (…).
Toutes celles qui ont choisi de garder leur bébé partagent une même joie : “Je suis heureuse de ne pas avoir avorté” ou “Je ne le regrette pas du tout”. À 18 ans, cette jeune femme raconte : “J’ai finalement gardé mon bébé, et je suis aujourd’hui à 22 Sa(3) et très heureuse ainsi que ma famille. Tout le monde m’avait rejetée, ils sont ensuite revenus sur leur décision, surtout ma mère qui a subi aussi un avortement et qui l’a très mal vécu”.
Au terme de cette enquête, il apparaît que les femmes sont loin de demander prioritairement des facilités d’accès à l’avortement, en supprimant par exemple le délai de réflexion entre les deux rendez-vous. Bon nombre d’entre elles regrettent d’avoir été au bout de la démarche, elles regrettent d’avoir avorté. Elles reposent la seule vraie question qui soit quand une grossesse non désirée s’annonce : comment aider, accompagner ces femmes pour qu’elles puissent accueillir l’enfant qu’elles portent ? 40 ans après le vote de la loi Veil, cette question essentielle, qui était et qui demeure une obligation légale introduite dans la loi, est restée lettre morte et n’a fait l’objet d’aucune proposition politique.
[1] Article 17 bis (tel que voté en première lecture à l’Assemblée nationale)
[2] L’enquête menée via les réseaux sociaux, notamment par Facebook, a été réalisée 6 au 31 mai 2015.
[3] Semaines d’aménorrhée. L’aménorrhée correspond à l’absence des règles.