Ce week-end, se tiennent les assises de Coexister, lauréate du prix “La France s’engage”. Samuel Grzybowski en abandonnera la présidence en octobre. À quelques semaines de ce tournant, il s’est confié à Aleteia.
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Aleteia : Selon vous, où en est le dialogue interreligieux en France aujourd’hui ?
Samuel Grzybowski : Nous sommes en train de vivre un tournant dans ce domaine, en passant de l’interreligieux comme fin à l’interreligieux comme moyen. Pendant longtemps, nous avons considéré en France que le fait de se parler et de se rencontrer était une fin en soi. D’un point de vue individuel, cela peut se justifier, mais pas de manière collective, pas avec les enjeux auxquels nous sommes confrontés en 2015. Il y a des urgences beaucoup plus pragmatiques, concrètes et nécessaires qui se présentent aux acteurs du dialogue. Et cette urgence est justement de contribuer au mieux vivre ensemble : créer du lien, donner une bonne image de l’autre, déconstruire nos préjugés. Je pense que tout une génération regarde cette mutation se faire sous ses yeux. Va-t-elle l’accompagner ou la subir ? Aujourd’hui, les prières communes et les rassemblements de diplomates ne résoudront pas seuls les enjeux contemporains. Nous avons besoin de personnes de différentes convictions qui créent des liens d’amitié forts et s’engagent ensemble pour une cause, qui découvrent leur unité sur des choses intangibles. En France, ce changement se fait entre autres avec Coexister mais nous avons dix ans de retard sur d’autres pays !
Quels conseils donneriez-vous aux Français ?
S.G. : Nous devons avant tout assumer ce que nous sommes. Beaucoup de problèmes se règlent d’abord par les "je suis". Je suis différent de mon voisin et ce n’est pas grave ! Je suis quelqu’un d’unique et je crois en quelque chose, peut-être original ou non-admis. Il est fondamental d’assumer ce "je suis", c’est le point de départ. Tant que nous n’acceptons pas cela, nous sommes complice d’un processus d’uniformisation dans lequel il faudrait que tout le monde soit absolument identique et lissé, en perdant la singularité et la saveur de chacun. Il y a là une responsabilité personnelle. Chacun doit défendre sa saveur personnelle. Nous sommes tous uniques, nous avons tous une conviction, et nous devons assumer cette dernière, aussi différente soit-elle et dérangeante pour la société, que l’on soit chrétien, juif, musulman ou athée. C’est pour moi fondamental. L’uniformité, en voulant gommer les différences, crée les frustrations qui génèrent de la violence.
Quel est selon vous le principal danger qui menace le dialogue ?
S.G. : Il y en a deux : les velléités prosélytes – la volonté de faire de l’autre ce que je suis – et les velléités syncrétiques – la volonté de se dissoudre dans l’autre en effaçant tout ce qui fait notre singularité et en ne gardant que ce qui est commun.
En tant que catholique, quel regard portez-vous sur l’action de l’Église dans ce domaine ?
S.G. : L’Église a une grande sagesse sur le sujet qui ne fait qu’augmenter avec le temps. Elle reste très ferme sur la doctrine vis-à-vis du devoir impérieux qu’a chaque chrétien de s’ouvrir. Non seulement elle est ferme dans ses discours pontificaux, dans le magistère, mais elle est aussi ferme dans Vatican II. Il y a quand même cette phrase où l’Église exhorte les chrétiens à faire augmenter les valeurs morales, spirituelles et culturelles qui se trouvent dans les croyants des autres religions. Elle nous demande à nous catholiques de faire grandir les musulmans dans leur foi. C’est cela que l’Église demande, c’est écrit dans Vatican II. On ne peut pas être chrétien aujourd’hui et vouloir être fidèle au magistère, tout en jetant un anathème sur les autres religions. C’est doctrinalement incompatible. L’Église reconnaît que les autres religions sont éclairées de rayons de la Vérité qui illuminent tous les hommes, ajoutant que tous ces rayons ne sont compris qu’en Christ. Pas dans l’Église ! Elle-même le reconnaît dans Lumen Gentium : l’Église n’a pas la totalité de la Vérité. Dans un rapport d’humilité, l’Église reconnaît qu’elle ne possède pas le Christ. C’est l’inverse : c’est le Christ qui possède l’Église. Il n’y a que Lui qui ait tous les rayons de la Vérité en Lui. L’Église ne possède pas toute la Vérité et elle accepte avec une grande humilité que cette Vérité éclaire d’autres personnes au-delà des frontières de l’Église.
A-t-on besoin de parler religion pour être heureux ensemble ?
S.G. : Au sein de Coexister, nous ne parlons pas tellement de religion finalement. La religion ce n’est pas ce que l’on dit mais ce que l’on est. Soyons seulement fiers de notre religion et de notre singularité. La religion concerne davantage le champ de l’être que le champ du discours. Nous avons besoin d’être différents. C’est le fait d’être soi-même qui rend heureux !
L’association que vous avez créée, Coexister, a été nommée début 2015 "Grand projet présidentiel" par François Hollande. Que cela signifie-t-il ?
S.G. : C’est une bonne nouvelle car il est à mon sens fondamental de comprendre que l’on peut créer du lien social sur la base de la diversité religieuse et pas seulement sur celle des autres diversités déjà connues : homme/femme, valide/invalide, la sexualité, l’origine, l’âge, etc. Nous sommes arrivés en tête des trois associations sélectionnées par les internautes après avoir assisté à un véritable engouement sur Internet, avec plus de 20 000 votes. Cela prouve qu’il existe dans la société française une profonde envie de rencontre et de coopération avec l’autre. Dans l’identité commune qu’est notre identité française, il est possible d’avoir des identités singulières : le commun n’exclut pas le spécifique, l’unité n’exclut pas la diversité.
Comment en arrive-t-on à seulement 16 ans à créer une telle association ?
S.G. : En créant Coexister en 2009, je n’avais pas forcément conscience de ce que cela allait devenir, même si j’en rêvais. J’ai eu cette conscience tôt. Coexister est au départ un groupe de 11 jeunes de religions différentes, sur lequel j’ai voulu investir toute mon énergie pour créer une relation régulière et fidèle entre nous tous, un socle de rencontre entre juifs, chrétiens, musulmans et athées. L’élément déclencheur a été l’opération "Plomb durci" à Gaza en janvier 2009 qui a provoqué en France une vague de haine antisémite et/ou islamophobe. J’ai participé à une manifestation à Paris le 14 janvier 2009 pour dire non à l’importation du conflit en France. Invité par hasard à monter sur scène, j’ai lancé un appel aux jeunes présents en leur proposant une grande collecte de sang avec des jeunes de toutes les religions pour que l’on fasse couler le sang pour la paix et non pour la guerre. Les jeunes ont répondu présents. L’association Coexister est née à ce moment-là. Une semaine plus tard, nous nous sommes retrouvés avec ceux qui avaient répondu à l’appel dans une synagogue pour échanger. Nous avons choisi le nom de l’association, décidé du message – la coexistence active –, du projet, etc. Nous avons bâti quelque chose de très intéressant dès le départ.
Quels ont été les éléments fondateurs qui vous ont façonné ?
S.G. : J’avais été très marqué par une visite à Auschwitz deux mois avant cette manifestation parisienne. À mon retour, j’avais pris la ferme résolution de m’engager personnellement dans la rencontre entre les religions pour empêcher que l’on puisse à nouveau désigner un ennemi ou une race à abattre comme on avait fait pour les juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. J’ai eu également la chance de faire du scoutisme et de vivre le centenaire de ce mouvement. J’ai participé au Jamboree mondial du scoutisme au début de mes années de lycée. C’était extraordinaire de vivre cela à l’âge où l’on se pose toutes ces questions, au seuil de sa vie d’adulte. Cet événement a été fondateur dans ma conscience personnelle pour décider que l’unité allait avec la diversité. J’ai compris cela avec la multiplicité des cultures et des religions qui s’exprimaient dans le même foulard et la même chemise. Déjà, dans mon école primaire, nous étions de 42 nationalités différentes pour sept religions pratiquées. Cela a été une base très importante pour moi même si je n’avais pas conscience que c’était extraordinaire. Je ne l’ai réalisé que plus tard, en intégrant un collège parisien moins hétérogène.
Quels sont les objectifs de Coexister ?
S.G. : L’objectif a un peu glissé. Pendant les trois premières années, la fin de notre action était le dialogue, et donc la rencontre entre les personnes de différentes religions, la recherche de vérité ou le chemin de foi personnel. En 2012, nous avons compris lors de nos assises que le but était différent : ce que nous recherchions vraiment était de favoriser le vivre ensemble… depuis le départ en faite, c’est seulement que nous ne nous en rendions pas compte ! L’objectif final de Coexister a toujours été de contribuer, avec d’autres, à la cohésion sociale. La mission de Coexister est de faire vivre un mouvement interreligieux de jeunes de toutes les convictions qui s’engagent dans différents modes d’action à l’échelle locale ou nationale, c’est que l’on appelle la "coexistence active".
Propos recueillis par Mathilde Rambaud